lundi 25 janvier 2010

pour une approche moderne et pacifiée de la laicité






« Religions », « laïcité » « musulmans », « Burka » autant de mots qui font réagir vivement les camarades et stimulent leur plume et leur pensée sur ce forum.



Je voudrais donc aujourd’hui préciser la vision de la laïcité moderne et pacifiée que j’appelle de mes vœux, en faisant un rappel historique sur la naissance de la laïcité en France, en précisant le terme de laicard que j’ai utilisé dans un de mes messages précédents, en montrant pourquoi Sarkozy a échoué dans sa récupération politique des religions, et, enfin, en faisant une proposition politique que je proposerai au Bureau fédéral.



*La laicité, un combat nécessaire contre l’Eglise Catholique au 19ème siècle qui ne doit pas se transformer en combat laicard contre l’islam au 21ème siècle



La laïcité a été pensée intellectuellement dans une France christianisée, où, à la fin du 19ème siècle, comme au début du 20ème, il était question d’ancrer la République à une France encore profondément sous la coupe des congrégations religieuses qui avaient la main mise sur l’école et sur une grande partie de la société. La République s’est construite contre l’Eglise catholique qui, au nom de son rôle de direction des consciences, exerçait, de fait, un rôle politique de première importance, en choisissant quasi systématiquement le camp du conservatisme contre celui du progrès dans une alliance classique « du trône et du goupillon », « de la calotte à la couronne ».



Ce combat passait par une segmentation nette des domaines religieux et politiques, ce combat imposait une rupture, franche. L’école a été le lieu d’affrontement prioritaire de ce combat nécessaire, l’expulsion des congrégations religieuses, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ont permis une première clarification nécessaire sur les bases de laquelle nous vivons encore aujourd’hui.

Or, ce que je dénonce dans le terme de « laicard », c’est la tentation de « repartir à la guerre », en ce début du 21ème siècle contre l’islam assimilé à l’islamisme au nom d’une analyse orientée de la religion d’Allah qui voudrait que la séparation entre le religieux et le politique n’ait pas été pensée par les docteurs de la foi islamique ; Un « laicard » est pour moi quelqu’un qui oublie que l’islamisme, d’après la définition donnée par Bruno Etienne, est « l’utilisation politique de l’islam par les acteurs d’une protestation antimoderne perçue comme portant atteinte à leur identité à la fois nationale et religieuse. ». En ce sens l’islamisme est donc une déviance, une lecture partiale de la religion de Mahomet. Le « laicard » est donc avant tout la personne « qui amalgame » islam et islamisme, et la personne « qui tronque » le combat laïc en oubliant le respect de la liberté de conscience qui en est son fondement.

*Pourquoi me paraît-il vain de repartir à la guerre dans la France du 21 ème siècle alors que l’engagement laïc me semble pour autant nécessaire ?

Parce que la France est profondément laïcisée, que la pratique religieuse y est profondément en recul, y compris au niveau de l’islam, pourtant présentée comme une religion « qui recrute » et qui serait donc de nature à menacer les fondements laïcs de notre société. En France, l’islam est en train de s’aligner sur la laïcité, et c’est Olivier Roy, un des meilleurs spécialistes de l’islam en France qui l’explique le mieux : « En Europe, la question de l'islam est perçue comme culturelle, à travers une langue et une culture d'origine. Alors qu'il s'agit d'une reformulation du religieux en dehors du champ traditionnel, sur des bases modernes. On observe une rupture des générations, une individualisation des prises de positions. Porter le voile relève ainsi d'une affirmation individuelle et non plus collective ». « S'interroger sur la possibilité de cohabitation entre l'islam et la laïcité en France est une fausse question, dit Olivier Roy. C'est la pratique politique et l'histoire qui ont toujours rendu les religions compatibles avec l'organisation politique et sociale des sociétés occidentales », explique t-il. « En Europe, l'islam va s'aligner sur des courants de pensée qui existent déjà »

A trop vouloir faire de la Burka un problème politique majeur, à voir dans le millier de femmes portant le voile intégral en France une atteinte contre la laïcité, un regroupement collectif menaçant la République sur des bases communautaires, ou un envahissement du champ politique par le religieux, on fait d’un épiphénomène une tendance lourde, on oublie donc que pour l’essentiel l’islam est une religion polymorphe (au sens où elle n’a pas une doctrine mais des doctrines car pas « d’Eglise »unique et que l’interprétation des textes fondateurs comme le Coran y est diversifié) et ductile (c'est-à-dire adaptable à chaque société donnée). Que si les partisans d’un islam militant existent en France (ils se reconnaissent dans l’islam des Frères musulmans, notamment, dont l’UOIF est le principal mouvement en France, ou dans le Tabligh), ils restent minoritaires au regard des millions de musulmans qui vivent leur foi de manière privée, s’ouvrent au mariage mixte hors de leur communauté religieuse d’appartenance, et ne font donc pas de l’Islam un combat mais une spiritualité ou un ancrage culturel à leurs racines d’origine.

C’est ce que rappelle le chercheur et écrivain Abdelwahab Meddeb dans tous ses livres, et qu’il essaie d’expliquer à la radio en étant animant une émission à vocation pédagogique « pour expliquer l’islam de France » aux français, sur France culture.



**La tentative sarkoziste de faire assumer aux religions un rôle politique a échoué :



Fabien Pierre cite avec justesse les termes de la motion un monde d’avance qui assume « le combat laïc avec fierté et détermination, a l’heure de l’offensive de Nicolas Sarkozy pour reconnaitre un rôle politique aux religions et enfermer chaque citoyen dans une appartenance religieuse ou ethnique"



En bon lecteur d’Emmanuel Todd (dans « Après la démocratie »), crois que la tentative sarkoziste a dors et déjà échouée puisque Todd a remarquablement montré que l’alignement de classe joue toujours dans le vote, et que les tentatives d’ethnicisation ou d’essentialisation religieuse à finalité électoralisme de telle ou telle catégorie de français est condamnée à se diluer dans des votes qui restent profondément inspirés par des données sociales ou économiques dans une société française qui reste très attachée à l’égalité républicaine et refuse donc le communautarisme à base religieuse et politique.



Pour refuser la thèse du choc des civilisations, pour continuer à s’engager dans le combat laïc sans prendre les armes, pour « assumer le combat laïc avec fierté et détermination » il me semble nécessaire aujourd’hui d’introduire l’enseignement des religions à l’école, comme le proposait dans un rapport au ministre de l’éducation en 2002 (sous un gouvernement de gauche) Régis Debray, plutôt que de d’embrayer le pas à la droite pour demander une loi contre la burka.

*** Une proposition politique : l’enseignement de l’histoire des religions à l’école :

Enseigner les religions a l’école c’est envisager les religions dans leur dimension historique, les rendre intelligible par l’enseignement assuré par des professeurs laïcs, qui défendront, dans l’espace neutre de l’école de la République, un enseignement laïc du fait religieux.

On voit là se dégager une notion moderne et pacifiée de la laïcité. Régis Debray dans le rapport que vous pourrez trouver ici en téléchargement (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000544/index.shtml) formule des recommandations pour l'enseignement du fait religieux à l'école. « Une évaluation des programmes d'histoire, de géographie et de lettres, un renforcement des cohérences entre ces programmes, la mise en place d' "itinéraires de découvertes" au collège et de "travaux personnels encadrés" au lycée sur ce sujet. Il s'attache ensuite à la formation des enseignants en recommandant notamment la création d'un module "Philosophie de la laïcité et histoire des religions" et l'instauration de stages de formation continue sur la laïcité et l'histoire des religions »

****Et pour finir, un peu de Jaurès, un mot sur la révolution religieuse que serait le socialisme :

On peut donc être marxiste et penser que la religion reste une aliénation, et pour autant penser qu’il est nécessaire de connaître les religions dans leur histoire et leur diversité, pour apprendre à mieux comprendre et respecter ceux qui croient. Pour redécouvrir, comme le disait Jaurès dans « la question religieuse »(1891) que le socialisme vise également l’infini en tant qu’une utopie nécessaire qui vise également l’aboutissement d’un monde meilleur…

« le positivisme a répudié ce qu’il y avait de meilleur dans le christianisme, ce qu’il y a de plus profond dans l’âme humaine, le sentiment de l’infini (…) Si la bourgeoisie est platement spiritualiste ou niaisement positiviste, si le prolétariat est partagé entre la superstition servile ou un matérialisme farouche, c’est parce que le régime social actuel est un régime d’abrutissement et de haine, c'est-à-dire un régime irréligieux. (…) Entre la provocation de la faim et la surexcitation de la haine, l’humanité ne peut pas penser à l’infini. L’humanité est comme un grand arbre, tout bruissant de mouches irritées sous un ciel d’orage, et dans ce bourdonnement de haine, la voix profonde et divine de l’univers n’est plus entendue. Voilà en quel sens nous avons pu dire que le socialisme en même temps qu’il serait une révolution matérielle et morale, serait une révolution religieuse… »

« Même si les socialistes éteignent un moment toutes les étoiles du ciel, je veux marcher avec eux dans le chemin sombre qui mène à la justice, étincelle divine, qui suffira à rallumer tous les soleils dans toutes les hauteurs de l’espace »

Je crois qu’il faut croire Jean Jaurès…et qu’il faut réfléchir dans le silence de son cœur à ces sages paroles sur un socialisme en quête d’infini…

Amitiés fraternelles

Boris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire