dimanche 27 décembre 2009

le sarkozysme est un populisme


Chers tous,

j'ai lu attentivement la tribune d'Emmanuel Todd et je dois dire que je ne suis absolument pas d'accord avec sa qualification du sarkozysme comme connaissant une dérive fasciste.

Ne refaisons pas les erreurs des années 90, celles qui ont vu toutes les questions touchant à l'immigration diabolisées et qualifiées de fascistes. L'anti-racisme a pu nous conduire (je dis nous car j'ai régulièrement manifesté dans les bouches du rhone contre le racisme) à des excès, à ne pas considérer les angoisses de la population, et notamment de l'électorat populaire, face à une France mosaique et multi culturelle. La gauche a pu apparaitre, dans ces années là, comme génée par la question de l'immigration et de l'intégration, sujets devenus tabous, voire nauséabonds.

Ne nous empèchons pas aujourd'hui de penser la laicité et la politique migratoire selon nos concepts de gauche, mais sans diaboliser ces thèmes. C'est pour ces raisons que j'ai toujours pensé qu'il fallait débattre de l'identité nationale, en réclamant l'aboutissement d'une identité plurielle et généreuse comme constitutive de l'identité française mais sans faire de ce sujet un débat interdit.

Le sarkozysme est un hyper pragmatisme, un populisme dans le sens où les soubresauts de l'opinion fondent le discours politique du président et qu'il est capable de changer de politique, ou tout du moins de discours, dès lors que les circonstances politiques et économiques évoluent :

Sarkozy gagne la présidentielle en analysant la "crispation hexagonale" des années 2000 (cf mon article sur ce sujet) en parlant d'immigration choisie et de refondation Républicaine y compris en appelant à sa rescousse des figures tutélaires de la Gauche comme Jaurès, il laboure l'électorat de droite et d'extrème droite sur les bases sécuritaires de 2002, mais dépasse son électorat traditionnel en parlant de pouvoir d'achat et de travail, thèmes traditionnellement de gauche ou keynésiens.

Il met en oeuvre une politique ultra libérale batie sur le moins d'Etat et la réduction des effectifs de fonctionnaires (encouragée par une majorité de français), en s'inspirant de son fondement idéologique des années 80 (celui de Tatcher et Reagan) mais est capable, également, pendant la crise économique, de développer, lors du discours de Toulon, un quasi discours social démocrate sur l'Etat protecteur. Il fonde, avec le RSA, une rénovation du RMI que n'aurait pas désavoué une partie de notre électorat.

Ce sont donc les caractéristiques d'un populiste qui n'hésite pas à instrumentaliser le débat sur l'identité nationale, à jouer de la peur de l'étranger ou de l'immigré, à jouer sur la politique du chiffre pour médiatiser les expulsions de sans papier, mais sans mettre en oeuvre, à grande échelle, de politique xénophobe ou fasciste qui priverait de droits certaines franges entières de la population. Le délit de faciès semble en vigueur dans les rangs de certains policiers, mais qui pourrait dire que tous les policiers sont devenus fascistes en France ? Ce serait une grave erreur et un non sens quand on regarde les scores des élections syndicales au niveau de la police qui contiennent les organisations syndicales proches de l'extrème droite dans les marges.

Le Sarkozysme joue des non dits, des angoisses enfouies, mais c'est aussi le même sarkozy qui met en place le conseil du culte musulman en 2004 pour tenter un dialogue avec les institutions représentatives de l'islam en France...sans grand succès il est vrai.

Soyons justes dans nos analyses et surtout dans nos réponses politiques car qualifier de fasciste le candidat sarkozyste de 2012 ne nous fera pas gagner

Si par paresse intellectuelle ou par facilité politique nous cherchons à disqualifier le Sarkozysme en fascisme potentiel, hors de toute mesure et en oubliant le vote démocratique de 53% d'électeurs de 2007, nous perdrons à coup sur l'élection de 2012.

Nous devons battre le sarkozysme sur la base d'un projet de gauche, en choisissant une union large de l'opposition, sans exclusive, et en trouvant un leader pour porter un discours rénové qui parlera également de sécurité, d'immigration, et de modèle laic d'intégration, thèmes dont la droite ne doit pas avoir le monopole.

Amitiés

Emmanuel Todd sur le sarkozysme

Ce que Sarkozy propose, c'est la haine de l'autre"
LE MONDE | 26.12.09 | 14h42 • Mis à jour le 26.12.09 | 15h21

Démographe et historien, Emmanuel Todd, 58 ans, est ingénieur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED).

Inspirateur du thème de la fracture sociale, repris par Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle de 1995, il observe depuis longtemps la coupure entre élites et classes populaires. Il livre pour la première fois son analyse du débat sur l'identité nationale. Sans dissimuler sa colère. "Si vous êtes au pouvoir et que vous n'arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature", estime-t-il.


Que vous inspire le débat sur l'identité nationale ?


Je m'en suis tenu à l'écart autant que possible, car ce débat est, à mes yeux, vraiment pervers. Le gouvernement, à l'approche d'une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l'islam. Je suis révulsé comme citoyen. En tant qu'historien, j'observe comment cette thématique de l'identité nationale a été activée par en haut, comme un projet assez cynique.

Quelle est votre analyse des enjeux de ce débat ?


Le Front national a commencé à s'incruster dans le monde ouvrier en 1986, à une époque où les élites refusaient de s'intéresser aux problèmes posés par l'intégration des populations immigrées.

On a alors senti une anxiété qui venait du bas de la société, qui a permis au Front national d'exister jusqu'en 2007. Comme je l'ai souligné dans mon livre, Le Destin des immigrés (Seuil), en 1994, la carte du vote FN était statistiquement déterminée par la présence d'immigrés d'origine maghrébine, qui cristallisaient une anxiété spécifique en raison de problèmes anthropologiques réels, liés à des différences de système de moeurs ou de statut de la femme. Depuis, les tensions se sont apaisées. Tous les sondages d'opinion le montrent : les thématiques de l'immigration, de l'islam sont en chute libre et sont passées largement derrière les inquiétudes économiques.

La réalité de la France est qu'elle est en train de réussir son processus d'intégration. Les populations d'origine musulmane de France sont globalement les plus laïcisées et les plus intégrées d'Europe, grâce à un taux élevé de mariages mixtes. Pour moi, le signe de cet apaisement est précisément l'effondrement du Front national.

On estime généralement que c'est la politique conduite par Nicolas Sarkozy qui a fait perdre des voix au Front national...

Les sarkozystes pensent qu'ils ont récupéré l'électorat du Front national parce qu'ils ont mené cette politique de provocation, parce que Nicolas Sarkozy a mis le feu aux banlieues, et que les appels du pied au FN ont été payants. Mais c'est une erreur d'interprétation. La poussée à droite de 2007, à la suite des émeutes de banlieue de 2005, n'était pas une confrontation sur l'immigration, mais davantage un ressentiment anti-jeunes exprimé par une population qui vieillit. N'oublions pas que Sarkozy est l'élu des vieux.

Comment qualifiez-vous cette droite ?


Je n'ose plus dire une droite de gouvernement. Ce n'est plus la droite, ce n'est pas juste la droite... Extrême droite, ultra-droite ? C'est quelque chose d'autre. Je n'ai pas de mot. Je pense de plus en plus que le sarkozysme est une pathologie sociale et relève d'une analyse durkheimienne - en termes d'anomie, de désintégration religieuse, de suicide - autant que d'une analyse marxiste - en termes de classes, avec des concepts de capital-socialisme ou d'émergence oligarchique.

Le chef de l'Etat a assuré qu'il s'efforçait de ne pas être "sourd aux cris du peuple". Qu'en pensez-vous ?

Pour moi, c'est un pur mensonge. Dans sa tribune au Monde, Sarkozy se gargarise du mot "peuple", il parle du peuple, au peuple. Mais ce qu'il propose aux Français parce qu'il n'arrive pas à résoudre les problèmes économiques du pays, c'est la haine de l'autre.

La société est très perdue mais je ne pense pas que les gens aient de grands doutes sur leur appartenance à la France. Je suis plutôt optimiste : quand on va vraiment au fond des choses et dans la durée, le tempérament égalitaire des Français fait qu'ils n'en ont rien à foutre des questions de couleur et d'origine ethnique ou religieuse !

Pourquoi, dans ces conditions, le gouvernement continue-t-il à reprendre à son compte une thématique de l'extrême droite ?

On est dans le registre de l'habitude. Sarkozy a un comportement et un vocabulaire extrêmement brutaux vis-à-vis des gamins de banlieue ; il les avait utilisés durant la campagne présidentielle tandis qu'il exprimait son hostilité à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne dans un langage codé pour activer le sentiment antimusulman. Il pense que cela pourrait marcher à nouveau.

Je me demande même si la stratégie de confrontation avec les pays musulmans - comme en Afghanistan ou sur l'Iran - n'est pas pour lui un élément du jeu intérieur. Peut-être que les relations entre les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, c'est déjà pour lui de la politique extérieure ? On peut se poser la question...

Si vous êtes au pouvoir et que vous n'arrivez à rien sur le plan économique, la recherche de boucs émissaires à tout prix devient comme une seconde nature. Comme un réflexe conditionné. Mais quand on est confronté à un pouvoir qui active les tensions entre les catégories de citoyens français, on est quand même forcé de penser à la recherche de boucs émissaires telle qu'elle a été pratiquée avant-guerre.

Quels sont les points de comparaison avec cette période ?

Un ministre a lui-même - c'est le retour du refoulé, c'est l'inconscient - fait référence au nazisme. (Christian Estrosi, le 26 novembre, a déclaré : "Si, à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris d'interroger sur ce qui fonde réellement l'identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être, aurions-nous évité l'atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne.") En manifestant d'ailleurs une ignorance de l'histoire tout à fait extraordinaire. Car la réalité de l'histoire allemande de l'entre-deux-guerres, c'est que ce n'était pas qu'un débat sur l'identité nationale. La différence était que les nazis étaient vraiment antisémites. Ils y croyaient et ils l'ont montré. La France n'est pas du tout dans ce schéma.

Il ne faut pas faire de confusion, mais on est quand même contraint de faire des comparaisons avec les extrêmes droites d'avant-guerre. Il y a toutes sortes de comportements qui sont nouveaux mais qui renvoient au passé. L'Etat se mettant à ce point au service du capital, c'est le fascisme. L'anti-intellectualisme, la haine du système d'enseignement, la chasse au nombre de profs, c'est aussi dans l'histoire du fascisme. De même que la capacité à dire tout et son contraire, cette caractéristique du sarkozysme.

La comparaison avec le fascisme, n'est-ce pas excessif ?


Il ne s'agit pas du tout de dire que c'est la même chose. Il y a de grandes différences. Mais on est en train d'entrer dans un système social et politique nouveau, qui correspond à une dérive vers la droite du système, dont certains traits rappellent la montée au pouvoir de l'extrême droite en Europe.

C'est pourtant Nicolas Sarkozy qui a nommé à des postes-clés plusieurs représentantes des filles d'immigrés...

L'habileté du sarkozysme est de fonctionner sur deux pôles : d'un côté la haine, le ressentiment ; de l'autre la mise en scène d'actes en faveur du culte musulman ou les nominations de Rachida Dati ou de Rama Yade au gouvernement. La réalité, c'est que dans tous les cas la thématique ethnique est utilisée pour faire oublier les thématiques de classe.
Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon et Sylvia Zappi

samedi 26 décembre 2009

Pour une laicité rénovée et une politique migratoire humanisée




Chers camarades,

Le débat sur la laicité et les minarets, qui fait couler de "l'encre numérique" dans les colonnes de ce forum, doit être replacé dans le contexte de l'élection de Nicolas Sarkozy et de celui d'une crispation hexagonale. Cette dernière est liée à une série de craintes trouvant leur fondement dans la montée du communautarisme et l'islamisation supposée de la société, doublées d'une peur pour les valeurs fondatrices de la République.

Le candidat Sarkozy a pu parfaitement identifier et jouer de ces peurs collectives pour faire fructifier son message d'une droite "décomplexée"parlant d'immigration choisie et de politique chiffrée de reconduite à la frontière des étrangers ayant pu mettre en place le conseil du culte musulman et l'interdiction du voile à l'école lors des dernières années de gouvernement Chirac.

Vincent Tiberj dans "la crispation hexagonale"(Plon, fondation jean jaurès, consultable sur le site de la fondation http://www.jean-jaures.org/) évoque la Marseillaise sifflée lors des Match France Algérie, les polémiques autour des caricatures de Mahomet, la peur du terrorisme liée au 11 septembre, et le retour sur le passé colonial, comme les paramètres ayant pu fonder, de 2001 et 2007, cette crainte d'une atteinte irrémédiable aux valeurs de la République par une frange de la population.

Pourtant, le même auteur relativise cette crispation et évoque la "révolution silencieuse" en marche dans l'hexagone, liée au renouvellement des générations et à la hausse globale du niveau d'études des français, pour rappeler également qu'il y a une montée globale de l'acceptation des différences, une baisse de la xénophobie et de l'ethnocentrisme, sans que ces valeurs positives ne trouvent forcément de relais politique, notamment à gauche.

Le débat sur ce forum, s'il a une utilité, est de montrer par exemple la difficulté de parler d'immigration à gauche, sans aussitôt transformer la problématique de la régulation des flux de personnes à travers nos frontières en débat sur l'islam, et partant, sur la laicité.

C'est ce glissement sémantique tout comme la difficulté à traiter de politique migratoire sous un angle de gauche qui empèche l'apparition d'un discours alternatif à celui de l'immigration choisie sarkozysienne. il faut pourtant ici sur ce forum s'y exercer :

Pour une approche rénovée de la laicité et un rapport apaisé à l'islam :


L'historien Gérard Noiriel enseigne que l'islam est la deuxième religion de France depuis...189 ans ! et que l'islam a été, dans onze pays européens sur vingt sept, présent comme phénomène historique pendant plusieurs siècles et qu'il constitue donc un élément culturel de l'identité européenne des peuples qui composent notre communauté, un élément aussi d'une identité française plurielle.

La plupart des musulmans de France ont un rapport "privé", quasi laic, à la religion de Mahomet : Si le Ramadan est reconnu comme une pratique largement suivie par une majorité de musulmans de France, il l'est au titre d'une pratique culturelle plus que religieuse. La pratique du culte reste stable, autour de 30% de musulmans fréquentant avec assiduité les mosquées, alors que la majorité se contente d'un rapport plus distant avec leur héritage islamique, créant un lien plus culturel que religieux avec l'islam.

Les "musulmans militants" qui reconnaissent difficilement la distinction entre sphère publique et sphère religieuse ne sont qu'une minorité, réunis derrière une vision d'un islam salafiste ou wahhabite peu représenté en France.

Notre vigilance de républicains et notre ardent désir de défendre les valeurs laiques ne doivent donc pas nous tromper d'ennemis.

Le principal ennemi de la laicité, quand on parle d'islam et d'immigration, c'est l'ignorance et la peur.

J'encourage à titre personnel, et comme le souhaitait Régis Debray dans un rapport de 2002, un enseignement à l'école des religions comme faits culturels et de civilisations, pour faire reculer l'ignorance.

Je crois nécessaire également de mener un grand débat national sur la loi de séparation de l'église et de l'Etat de 1905 pour refonder cette loi fondamentale dans une laicité retrouvée et apaisée qui n'hésiterait pas à reconnaitre l'apport culturel des religions, sans rien céder sur la neutralité de l'espace public. Cela permettrait de faire reculer la peur d'une atteinte à notre modèle républicain.

Faire reculer cette crispation hexagonale, relève donc des missions de l'école de la République, du débat politique et certainement aussi du devoir des militants socialistes et républicains que nous sommes à changer de regard sur l'immigré. Quand un français sur trois possède aujourd'hui un grand parent d'origine étrangère, le slogan "nous sommes tous des enfants d'immigrés", entonné jadis dans les rangs des manifestations étudiantes auxquelles j'ai pu participer gaiement, prend un vrai sens politique, bien au delà de l'incantation.

une politique migratoire européenne liée au co développement :


Dégager, sans angélisme, une vision européenne partagée, pour une immigration plus humaine, dans le cadre d'une politique migratoire liée étroitement à la politique de co développement avec nos voisins, est surement un objectif politique de premier plan. le combat pour le 1% de co développement doit imprégné les esprits et montrer que les transferts de technologie, les politiques d'entre aide entre pays, les accords d'échanges commerciaux généreux, peuvent permettre une maitrise des flux migratoires beaucoup plus efficaces que tous les murs qu'une Europe citadelle voudrait mettre en place.

La lutte contre la droite gouvernementale pendant les deux ans qui viennent doit nous amener à rénover nos idées pour l'emporter en 2012. Mais il faudra vaincre d'abord nos propres peurs : rénover la laicité pour sortir d'une vision totémique et combattive héritée du 19ème, évoquer les politiques migratoires nécessaires sans pour autant renoncer à les humaniser.

Amitiés fraternelles

Boris Faure
Varsovie

Choisissons toujours la France plurielle à la France fermée...

jeudi 17 décembre 2009

Un parti d'inclus (suite) à propos du PS et des législatives à l'étranger




Chers tous,

La diversité sociale est un objectif politique possible, au nom d'un idéal égalitaire qui passe par des élus représentatifs du "pays réel" ; Les représentants de la nation doivent être le reflet le plus exact de la sociologie de cet te dernière. Le parti socialiste, école des cadres et de sélection des candidats PS aux élections, devrait être à cet égard une école de la diversité, ce qu’il n’est pas.


Pourquoi notre parti n'est il seulement qu’un "petit" parti , étroit dans ses effectifs, « bourgeois » dans sa sociologie, trop homogène dans sa composition ? Le nombre d'immigrés, de femmes, d'ouvriers et d'employés y est ridiculement faible.

Des raisons pratiques expliquent cela, comme par exemple, l’horaire des réunions de section, en fin de journée, qui exclue de fait une partie des militantes femmes dans un contexte de répartition inégale des taches ménagères. Le culte de la parole, la science de la rhétorique sont aussi des éléments d'exclusions pour celles et ceux qui n'en possèdent pas les codes.

Je citerai le livre de Rémi Lefebvre « la société des socialistes » qui analyse la sociologie du PS de manière plus globale :



« Fortement professionnalisé à la base comme au sommet, entièrement organisé autour de la préparation des échéances électorales, le parti socialiste connaît une rétraction de ses réseaux d’influence et semble incapable de renouveler ses cadres et ses orientations politiques. La société des socialistes apparaît ainsi comme une société de plus en plus fermée sur elle-même, où les enjeux liés à la préservation des positions de pouvoir apparaissent déterminants. Un certain cynisme y est de mise. Ses membres se rassurent en se représentant la société française non plus comme une société de classes, mais d’individus ou, à tout le moins, comme une somme d’intérêts catégoriels auxquels il s’agit de répondre au coup par coup. Le programme a remplacé le projet, tant au niveau local que national »


La professionnalisation fait donc des ravages : Elle commence par le peu d’effort fait en termes de formation auprès des militants (même si effectivement la FFE n’est pas forcément à la traine sur ce plan là et qu’on essaie de faire au mieux dans les sections).


La raison de fond, c’est que la formation se fait à l’extérieur du parti, et au préalable : L’institut d’études politiques de Paris et les Instituts d’études politiques de Province sont devenus les annexes universitaires de formation des futurs cadres du parti socialiste (je plaide coupable, je fais partie moi-même de cette secte). L’UNEF ou le MJS peuvent être des compléments de formation, mais sont également fortement professionnalisés, et, d’expérience, on y apprend plus la cuisine interne du Parti (notamment le subtil rôle des motions ou les logiques d’allégeance nécessaires auprès des ainés) qu’on y suit un réel apprentissage démocratique ou qu’on y apprend les vertus du débat d’idées.


Je crois que tout simplement, les « initiés », au fait des subtilités statutaires, et qui possèdent donc un avantage comparatif à l’égard des autres militants, ont peu d’intérêt à partager leur savoir dans une pure logique de concurrence ; Est-ce que j’apprends ici quelque chose à quelqu’un d’ailleurs ?

La rétractation des réseaux d’influence : un parti de masse et d’éducation populaire devrait donc disposer de nombreux relais vers la société civile ou le monde syndical ; Le parti serait alors un lieu possible d’imprégnation sociale, par diffusion des problématiques de la société civile vers le parti qui en serait le relais, et une matrice de sélection élargie pour les militants venus du milieu associatif ou syndical. Or, Rémi Lefebvre démontre très clairement que les structures de direction du PS sont devenues hyper homogènes sociologiquement depuis le divorce avec le monde syndical, notamment : l’origine s’en situe sous le premier septennat Mitterrand alors que la CFDT, base de recrutement dans l’après Epinay, n’a été considérée, au mieux, que comme une simple courroie de transmission par les gouvernements socialistes et n’a donc plus réussi à faire infuser des idées auprès du PS.


Historiquement, et c’est ce qui différence le PS des partis sociaux démocrates européens, la charte d’Amiens a introduit une distinction entre démocratie sociale et démocratie politique et fondé l’indépendance du monde syndical en France. Cela explique l’étanchéité des mondes syndicaux et politiques en partie, même si les processus de sélections internes au PS sont également en cause, puisque, statutairement, la double appartenance PS-syndicat est encouragée mais peu ou pas valorisée.


« Je n'ai, à ce jour, pas d'exemple en tête d'une section ayant entrepris d'établir des liens durables avec une association de quartier ZUP, avec une école de ZEP, avec un collectif de sans papiers, avec un syndicat d'une entreprise en voie de délocalisation, avec un foyer de sans-abri, etc » comme l'écrit un camarade de la fédération des français de l'étranger du PS.

je n’ai pas connaissance de ce type de liens, tout simplement parce qu’ils ne sont pas réellement encouragés, par ce qu’on ne veut surtout pas prendre le risque d’étendre de manière trop large la base électorale interne du parti (un parti avec un trop grand nombre d’électeurs devient un parti plus difficile contrôlable par l’appareil centralisé…voir la « complexité » qu’avait créé l’arrivée massive d’adhérents à 20 euros…), parce que le parti tient à demeurer une machine de préparation des échéances électorales avant tout. A quoi bon, dès lors s’embêter à former des sans abri ? à travailler avec un syndicat ?


La société de classe : La société française et le parti socialiste peuvent être analysés sous le prisme de l’analyse marxiste/ La notion de classe est sur déterminante pour moi, car un enfant de la classe ouvrière qui réussit par la promotion sociale à s’extraire de sa classe d’origine (économiquement parlant) restera toujours handicapé par son manque de capital culturel et social d’origine. Il n’y a bien sur aucun fatalisme social (il existe en effet des « Pierre Beregovoy »…on sait comme tout cela fini…), mais dans la course à la distinction dont parle Bourdieu comme élément moteur de la société (et donc de la société politique qu’est un parti), les chances de se distinguer ne sont pas les mêmes du fait de « l’habitus » qui est un élément surplombant.


Je n’apprendrai rien à personne en disant que l’école est reproductrice des inégalités, et donc que le parti socialiste, en tant qu’école des cadres ou du militantisme, ne fait pas exception.


Dans une société de classe, le parti socialiste devrait donc avoir une politique pro active de promotion des classes les plus dominées : exclus, sans papiers, chômeurs, ouvriers et employés. A défaut, il pourrait avoir une politique pro active de promotion des enfants d’exclus, de sans papiers, de chomeurs, d’ouvriers ou d’employés…et de formation pour devenir, enfin, ce que le parti socialiste n’a jamais réellement été (même aux heures glorieuses de l’après Epinay, le parti n’a jamais compté plus de 200 000 militants…c’est très peu au regard des autres partis de gauche européens) : un parti de masse.

Les moyens existent pourtant, j’en citerai quelques uns : imposer la double adhésion et le double militantisme pour tout militant souhaitant se porter candidat aux législatives ; favoriser les adhésions à tarifs réduits y compris sur le long terme et pas seulement la première année, revoir les modalités de financement des partis politiques pour favoriser les activités formation et d’éducation populaire mises en œuvre par les principaux partis politiques…

Dans un parti de masse, reflet de la société, nous n’aurions effectivement pas besoin de quotas, de femmes, ou pour les enfants d’immigrés…et les enfants du prolétariat.

J’aimerai conclure, par une formule un peu provocatrice… « Prolétaires de la FFE, faites vous connaître, organisez vous »…des élections se préparent…

Amitiés fraternelles


Boris

vendredi 11 décembre 2009

PS : Le parti des inclus ? de la promotion de la diversité (sociale) dans nos candidatures





La fédération des français de l'étranger du PS est en train de définir le cadre de désignation de ses candidats pour les élections législatives de 2012 qui verront onze circonscriptions à l'étranger définies pour l'élection de députés des français de l'étranger; Le bureau fédéral de la FFE vient de poser les bases de règles de désignation comprenant, notamment, 5 circonscriptions susceptibles d'être réservées à des femmes au nom de la parité, ainsi qu'un encouragement aux candidatures issues de la diversité.

Je m'interroge donc aujourd'hui sur ce blog sur la notion de diversité...
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A titre personnel, je me félicite que le bureau fédéral ait souhaité encourager la promotion de candidats issus de la diversité pour les prochaines élections législatives à l’étranger.

Mais de quelle diversité parle-t-on ici et comment la mettre en œuvre ?


Une réponse rapide et incomplète serait de juger de la « diversité » potentielle d’un candidat en fonction de la couleur de sa peau ou de ses origines étrangères.

Pourquoi dans ce cas là se cacher derrière se terme si générique de diversité au lieu de parler directement de promotion de candidats noirs, maghrébins ou asiatiques ou de candidats métissés ?

Tout simplement parce que le parti socialiste n’a pas totalement renoncé à appliquer une grille d’analyse sociale aux questionnements sur la diversité et refuse une vision excessivement multiculturaliste dans ses analyses.


La diversité sociale mérite débat dans une société française profondément inégalitaire :


Ce qui pose problème dans une République se voulant sociale mais restant profondément bourgeoise, c’est que la diversité sociale au sein de la classe politique recule, que l’ascenseur social à l’école est grippé, que le sentiment d’exclusion progresse partout, et que nous ne pouvons nous contenter, en tant que parti n’ayant pas renoncé à faire des propositions politiques pour tous, à demeurer le seul parti des inclus en s’exprimant par le biais de représentants qui en seraient les seuls symboles.


La violence dans les banlieues, l’intégration problématique des « minorités visibles », la fracture entre la France d’en bas et d’en haut, seraient liés à la couleur de peau de certains citoyens français ? A mon sens non. La misère sociale, économique et culturelle est l’élément explicatif primordial. Une misère qui colle à la peau, qui se transmet de génération en génération comme une MST sociale dont aucune protection ne pourrait prémunir. La pensée sociologique française s’est souvent penchée sur la question des inégalités transmissible à travers les générations.

Louis Chauvel dans « le destin des générations » (1998) a pu analyser sur des bases statistiques la transformation des inégalités sociales et leur diffusion d’une génération à l’autre, comme une fatalité sociale qui remettrait en cause les processus de démocratisation dans la société française. L’œuvre de Pierre Bourdieu a mis en exergue les différents « capitaux » à disposition des individus : économique, culturel, social et symbolique en insistant sur l’importance du capital culturel passant par la maitrise des codes et du langage. Dans les ouvrages désormais classiques que sont les héritiers (1964) ou la reproduction (1970), il a pu montrer pourquoi l’école échouait à réduire les inégalités, le capital social transmis à l’école se fondant avant tout sur le « réseau » dont dispose chacun, les préférences individuelles contribuant à bâtir ces réseaux étant socialement déterminées par les origines familiales et le milieu social dans lequel évolue les individus.


Quel discours peut porter le parti socialiste et la FFE et avec quels candidats ?



Le parti socialiste est devenu progressivement un « réseau d’inclus », maitrisant les codes socioculturels, et parfaitement capables de s’exprimer et de se faire entendre par les autres inclus du système économique - cette immense classe moyenne qui compose plus de 50% de la société française ou sa petite élite économique et sociale - qui se sélectionnent entre eux lors des élections et savent se choisir des candidats à leur image et possédant les mêmes codes (cf. sur ce point l’ouvrage « la société des socialistes » comme analyse d’un parti fermé dans sa composition sociologique)

Il est certain pour moi, que de choisir des candidats issus de l’immigration garantit certainement de pouvoir parler plus largement, au-delà du cercle « des inclus »du système. Mais il est tout aussi certain que si l’on choisit des candidats issus de la bourgeoisie de l’immigration on aura échoué à élargir notre audience et à parler au nom de ceux qui se sentent exclus de notre système politique.

J’ai conscience que ce message rencontrera peu d’écho dans notre fédération composée de CSP+, où le nombre de diplômés du supérieur est largement plus important que la moyenne nationale, où les destins internationaux que nous vivons nous rapprochent toujours un peu plus de cette « upper class » mondiale ou de cette « hyper bourgeoisie »internationale composée d’une élite internationale polyglotte, affable en toute circonstance, moralement correcte et sociologiquement uniforme.

On peut se dire d’ailleurs, de manière réaliste, que des candidats de l’hyper bourgeoisie issus de nos rangs seraient capables de remporter aisément les suffrages de ceux qui leurs ressemblent et qui vivent comme eux à l’étranger au sein de l’élite internationale.

Mais ce serait là commettre une grave erreur du fait d’une composition sociologique des français de l’étranger en profonde mutation, avec désormais 50% de bi nationaux, résidant sur le long terme à l’étranger dans des conditions d’une grande diversité économique et sociale. Ce serait aussi oublier qu’une forme de précarité existe chez nos concitoyens les moins intégrés au système, et qui sont les premiers bénéficiaires des budgets d’aide sociale que nos parlementaires viennent d’augmenter de manière significative pour faire face à des besoins croissants. Qui vivent isolément hors des grandes villes et grands réseaux sociaux. Des pionniers dans certaines zones où la communauté française se réduit à une poignée d’individus. Des isolés sociaux parfois en situation de grave exclusion.

Je ne désespère donc pas, au-delà des quotas proposés dans cette élection (le premier des quotas étant un quota de femmes au nom de la parité) que l’on instaure pour nos 11 candidatures, un quota social de candidats issus de la diversité : les fils ou filles d’ouvriers ou d’employés, les précaires et les exclus de l’étranger auront-ils droit, à au moins UN candidat ou UNE candidate pour les représenter ?

Avoir au moins un seul candidat qui ne serait pas issu du « réseau des inclus » serait en soit une ébauche d’espoir dans un parti qui ne se serait pas résolu à demeurer un parti bourgeois. En avoir deux serait un espoir plus significatif. En avoir une majorité relève bien évidemment d’un rêve utopique. Mais le socialisme n’a-t-il pas vocation à être une utopie active ?

Amitiés fraternelles

Boris
Varsovie

mardi 8 décembre 2009

Petites économies et gros dégâts sociaux. Au sujet de la fiscalisation des indemnités d'accident du travail




Chers tous,

Le sénat vient de voter la fiscalisation des indemnités journalières versées par la sécurité sociale aux accidentés du travail.Cette mesure inique provoquera, d’abord symboliquement puis économiquement, la stigmatisation et la taxation des accidentés du travail. Dans un contexte économique où la souffrance au travail est sans cesse plus présente, on peut, sans peine imaginer les dégâts sociaux et humains qu’une telle mesure provoquera.


Cette mesure représente une maigre économie pour le budget de l’Etat, seulement 135 millions d’euros, au regard des 4 milliards que représentent les heures sup défiscalisées. C'est donc bien une mesure de casse sociale qui ne relève donc pas d’une quelconque rigueur gestionnaire mais bel et bien du coup politique droitier.


Je me permettrais de citer d’autres chiffres, accablants pour ce gouvernement qui voudrait se parer des vertus de la bonne gestion alors qu’il n’est que le gouvernement de la raréfaction des politiques publiques, le vrai sens caché de la RGPP :


*Le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite, « rapporte » 500 millions d’euros d’économies annuelles. En comparaison, les réductions d’impôts votées depuis 2000 ont couté 66 milliards de manque à gagner au budget de l’Etat. Les multiples niches fiscales ont un cout annuel de 73 milliards d’euros (sources, alternatives économiques, décembre 2009, « la dette publique est elle encore maîtrisable »)

On voit là d’ailleurs quelles pourraient être les grandes lignes d’une première réforme fiscale de la gauche revenue au pouvoir : la chasse aux privilèges fiscaux et la refonte générale d’un système fiscal devenu largement inique et inefficace. Plus que l’anémie des dépenses, la gauche devra porter son effort budgétaire sur le volet recette de l’Etat.

Du travail en perspective.

Amitiés fraternelles

Boris

Varsovie




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TEXTE DE Mme La sénatrice des français de l'étranger, Claudine Lepage




Chers amis,

Le sénat vient de voter la fiscalisation des indemnités journalières versées par la sécurité sociale aux accidentés du travail. Une mesure « inique », « obscène », « scandaleuse », les mots ne semblaient pas assez forts pour dénoncer la manœuvre du ministre Eric Woerth qui prétend rétablir une égalité en fiscalisant les indemnités des accidentés du travail comme les indemnités d’assurance maladie ou de congé maternité. Sans doute s’agissait-il de faire croire que les accidentés du travail sont des privilégiés.

Le tour de passe-passe feint d’oublier que les accidentés du travail ont un statut de victimes et obtiennent non pas un revenu de remplacement mais une réparation : depuis la mise en place du régime d’indemnisation des mutilés du travail, en 1898, les victimes d’accident du travail n’ont droit qu’à une réparation forfaitaire laquelle, ne réparant que partiellement les préjudices subis, n’était pas fiscalisée pour compenser une inégalité d’indemnisation.

Loin de réduire une inégalité de traitement comme il le prétend, le gouvernement renforce une inégalité car les victimes du travail sont les seules à ne pas être remboursées de tous les préjudices subis, personnels, moraux, esthétiques ou droits à la retraite.

Cette mesure rapportera 135 millions à l’Etat qui perd par ailleurs 4 milliards en défiscalisant les heures supplémentaires.

Amitiés,
Claudine

Oser la rupture idéologique, garder la foi





un commentaire en forme d’interrogation historique, à la suite du texte de Marcel Gauchet (publié sur ce blog à la suite de mon article du jour) :



- Pourquoi la crise actuelle a-t-elle pour effet d’accentuer la crise de la gauche alors que la précédente crise majeure, celle de 1973, la crise du choc pétrolier marquant la fin des trente glorieuses et l’entrée dans l’ère du chômage de masse, a produit exactement l’inverse, soit la victoire historique de 1981 ?



Le projet de 1981 se voulait projet de rupture par rapport au capitalisme et de contestation des dérives de la société de consommation. Même si la tradition politique de Mitterrand était catholique et de droite, son pragmatisme naturel l’avait conduit, à la suite de deux défaites aux présidentielles, à considérer le discours de contestation de la société de consommation et la nationalisation de pans entiers de l’économie comme les piliers constitutifs d’un programme politique basé sur l’union de la gauche.


C’était donc un projet capable de réunir les nouvelles forces de gauche issues de l’après 68 aux marxistes plus traditionnels (partisans du dirigisme d’Etat), et aux keynésiens de gauche, favorables à la relance économique de la demande intérieure.

Bien entendu, le virage de 1983 est venu rappeler douloureusement l’impasse d’une relance keynésienne classique dans une économie ouverte. Les dévaluations du franc et le déficit de la balance commerciale ont sonné le glas de cette politique trop isolée dans une Europe en passe de se convertir au tout libéralisme et au libre échangisme échevelé.

Or, la gauche n’a jamais osé faire le procès du libre échangisme et s’est inscrite au contraire dans la construction d’une Europe qui a fait du libre échange un dogme, à l’intérieur du marché des 27 (le marché unique de la concurrence non faussée) comme à l’extérieur (les droits de douane et barrières commerciales aux exportations ont été abaissées continuellement).



La Gauche est aujourd’hui lestée par ce tournant de 83 assimilé à une forme de renoncement des idéaux de gauche, même 25 ans après. L’expérience de gouvernement Jospin, la douloureuse défaite de 2002, celle d’un projet qui ne se voulait plus socialiste, vient brouiller encore davantage le fond idéologique de la gauche d’aujourd’hui, faute d’inventaire ou d’aggiornamento sur nos expériences de gouvernement passées. Nous donnons donc l’impression d’être à la fois favorables au capitalisme, comme horizon indépassable, et au libéralisme, comme réalité économique incontournable.

Mettre à jour notre programme idéologique pour développer un projet alternatif revient donc d’abord, à reposer la question des protectionnismes nécessaires et des logiques de coopérations régionales à mettre en œuvre pour réduire les inégalités issues d’un monde du tout libéral et reposer la question des nationalisations bancaires, comme rupture avec le tout capitalisme.


Voilà une base de départ idéologique possiblement marxiste.

Le changement de modèle de croissance et la nécessité d’une économie verte dans une société du temps libérée (par la progression constante de la productivité), pourrait être également le point d’arrivée idéologique d’une révolution de gauche, commencée par Marx, et qui trouverait dans les problématiques d’aujourd’hui son dépassement.


La désaffection à l’égard de l’engagement politique, le retour vers les valeurs du privé, décrits par Marcel Gauchet, ne sont pas des fatalités si l’on refonde la politique : Technique démocratique de gouvernement, certes, mais aussi croyance en une utopie active, le socialisme.

Gardons la foi

Boris

Varsovie

Texte de Marcel Gauchet; 3 effets de la crise



Marcel Gauchet

Journées d'études du CEVIPOF , Sciences po Paris

Jeudi 1er Octobre 2009

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Deux remarques préalables avant d’en venir à ce que l’on peut d’ores et déjà discerner dès à présent des effets de la crise.

Premièrement sur le caractère paradoxal des effets de cette crise. On peut en effet considérer qu’elle aura eu le bénéfice intellectuel de nous obliger à sortir de tout ce qui, dans les sciences continuent à emprunter à des modèles, au fond, de la causalité physique avec des schémas linéaires de transposition et de contamination de l’économique au social, puis du social au politique. Nous ne sommes plus du tout, en effet, dans cette configuration. C’est un point sur lequel on ne saurait trop insister et, de toutes les manières, nous allons devoir réviser profondément la manière d’articuler ces différents paramètres.

Deuxième remarque préalable à propos de l’ombre gigantesque des années 1930 qui pèse évidemment sur notre perception de la crise. Pour aller très vite, je dirais que la différence - nous pouvons la situer assez précisément, me semble-t-il - tient à l’offre idéologique.

La crise de 1929 intervient dans un contexte où il existe une crise des régimes libéraux très antérieure. On peut la faire remonter, à mon sens, bien avant 1914. Elle accompagne la mise en place du suffrage universel à l’intérieur des régimes libéraux pour aller vite. Elle s’affirme après 1918 où l’on a, tout de suite après la guerre, la cristallisation d’une extrême droite radicale - et même révolutionnaire - à l’enseigne du nationalisme et, dans le sillage de la révolution bolchévique, la cristallisation d’un révolutionnarisme d’extrême gauche armé d’une puissante analyse et d’une proposition idéologique vis-à-vis de la société bourgeoise. La crise des années 30 arrive donc dans un contexte marqué par le développement de la foi révolutionnaire et dont elle va démultiplier les proportions - la crise apparaissant comme la ratification et la certification de cette perspective révolutionnaire qui mobilise les masses.

Rien de pareil dans notre contexte. Nous vivons le crépuscule ou l’éclipse de l’idée de révolution. Nous sommes dans le moment de clôture d’un grand cycle historique - qui se confond en gros avec le vingtième siècle - où ce dessein révolutionnaire, qui a été organisateur du champ politique sur le plan idéologique, est en repli. L’offre idéologique par rapport à la crise que nous vivons est a peu près nulle. En fait, elle se résume à des succédanés d’idéologies du passé dont les adeptes eux-mêmes mesurent bien le caractère peu adéquat à la situation, et qu’ils brandissent plutôt comme des symboles que comme des doctrines opératoires.

Là, il faut rappeler une chose qui, dans l’espace public français, n’est apparemment pas toujours bien comprise : la protestation n’est pas la révolution. Je crois qu’il y a une importante différence parce que précisément, pour que la protestation passe à la révolution, il faut que derrière la protestation il y ait une offre idéologique qui lui donne à la fois l’intensité mobilisatrice sur le plan affectif et un progrès global plus ou moins crédible à une échelle de masse. Nous ne sommes absolument pas dans cette situation. Je crois que rien ne le traduit mieux d’une certaine façon que le recours à l’arme symbolique du suicide au travail pour exprimer un refus social. Là, on est aux antipodes absolus de ce qu’est l’espérance révolutionnaire : la désespérance individuelle transportée dans l’espace public.

J’en viens à ce qu’on peut discerner des effets de la crise. Je retiendrais trois points.

Le légitimisme des opinions


Le premier effet paradoxal de la crise est le renforcement inattendu des pouvoirs en place. Non seulement la crise ne s’est traduite nulle part ni par une déstabilisation des gouvernements en place ni par une radicalisation prononcée des opinions publiques mais plutôt par un confortement des gouvernements installés. Ils sont, somme toute, assez rares à avoir été bousculés politiquement de manière très significative par la crise. Est-ce un si grand mystère ? Non. Tout simplement, les gouvernements de 2008-2009 ne sont pas les gouvernements de 1929-1931. Ils sont devenus des gouvernements - tous quels qu’ils soient et en dehors de tout clivage idéologique - massivement interventionnistes, au mépris de leurs affichages idéologiques antérieurs dont ils n’ont même pas l’air de se souvenir ! Il faut admirer cette aisance dans le virage à 180° sans problème. A l’époque de Staline, on passait des mois à justifier le tournant. Là, on ne se préoccupe même pas de lui donner un contenu idéologique !

J’ajouterais un point à ce propos. Un autre effet mériterait l’exploration. Je n’ai aucune compétence pour le faire mais je le mets dans le programme d’un travail qui me paraît très important : l’effet retraite. En quoi une crise financière peut-elle profondément inquiéter les populations et provoquer une sorte de solidarisation avec les pouvoirs en place ? Tout simplement, au regard de ce qu’est devenue la retraite dans l’imaginaire social de nos sociétés du point de vue des attentes individuelles : le moment qui couronne l’existence sous le signe de la liberté. On comprend alors sans peine, en considérant cette importance des retraites, le souci des populations qu’il y ait toujours quelque chose dans la caisse pour le moment où ils auront à bénéficier de leurs prestations ou pour qu’ils continuent à en bénéficier quand ils en bénéficient déjà. Le dispositif de l’Etat providence, peut-être plus largement même que la retraite au sens strict, est un facteur de légitimisme des opinions qui me semble pas avoir été suffisamment souligné jusqu’à présent.

La délégitimation des élites et le repli sur le privé

Il existe autre effet, plus en profondeur, qui doit être inscrit dans un temps long. Il vient de loin. Il vient de la crise des années 1970 avec les différentes vicissitudes qu’elle a connues. Un pays comme la France - ce n’est pas le cas de tous les pays occidentaux - n’a cessé de vivre dans la crise depuis les années 1970. L’effet peu perceptible - nous manquons d’indicateurs pour mesurer un tel phénomène mais il me semble très perceptible dans les attitudes de l’opinion - est la délégitimation en profondeur des élites dont la traduction politique est essentiellement négative :

1) désaffectation à l’égard non seulement de l’engagement politique mais aussi de l’implication politique la plus élémentaire;

2) scepticisme à l’égard de l’offre politique et repli massif sur les valeurs du privé. Là, on peut observer cette évolution vers la valorisation du domaine privé, qui s’effectue même de manière acritique vis-à-vis des valeurs publiques mais qui les désaffecte de l’intérieur.

Cette délégitimation, du point de vue des comportements politique a plutôt tendance à se traduire par le retrait. Mais il faut faire très attention : c’est un facteur par définition instable. Il peut être aussi bien l’occasion d’une protestation violente. Rien n’est plus envisageable, du point de vue des logiques des comportements, que la transformation quasi-immédiate, à la faveur d’une conjoncture qui le permet, de la désaffection en comportement de rupture, sans dessein politique affirmé, mais avec des effets importants.

La distance vis-à-vis des solutions alternatives

Troisième effet qui me semble perceptible et le plus paradoxal d’une certaine manière par rapport à nos habitudes de pensée qui sont les nôtres depuis longtemps : la crise me paraît avoir pour effet d’accentuer la crise idéologique de la gauche - dans le cadre européen en tout cas. Là, nous sommes aux antipodes des années 1930 où l’effet de la crise a été massivement, en dehors du communisme et de la perspective révolutionnaire, de faire passer un consensus de l’opinion en direction du socialisme. Il a été par exemple très bien analysé dans le cas britannique. Un socialisme personnaliste, humaniste, plus ou moins vague, mais dont la grande traduction vont être les réformes de 1945 qui vont quand même incroyablement infléchir le cours des régimes libéraux.

Nous sommes à l’opposé aujourd’hui : la crise met en évidence le déficit d’alternative et de perspectives crédibles de la part de la gauche. Le porte-à-faux vis-à-vis de la situation de nos sociétés s’accentue. On peut évidemment objecter à cette perspective le succès ou le relatif réinvestissement d’une gauche radicale - je ne dirais pas une gauche révolutionnaire mais une gauche de principe. En effet, c’est un des effets très probable de cette crise : une gauche pour laquelle on vote non pas parce qu’on croit aux perspectives qu’elle trace - dont d’ailleurs très souvent les dirigeants eux-mêmes ne croient pas au caractère praticable- mais parce qu’elle a une dimension symbolique de protestation. Un gauche qui, dès lors, n’est jamais suffisamment marquée comme protestation et qui favorise des options radicales, sans illusion sur le résultat qui peut en découler. Ceci ne fait en retour qu’accentuer la difficulté d’être de la gauche de gouvernement dont les efforts pour se rendre en quelque sorte crédible sur le plan du praticable politique achève de la disqualifier au regard de son électorat naturel. Elle est dans une situation très difficile.

Je terminerais par une note sur la prudence que nous devons garder. Ne nous hypnotisons pas sur le court terme. La nature même des quelques effets que je viens d’évoquer fait que cette tranquillité relative de surface, le légitimisme des opinions, ce repli sur le privé, cette distance vis-à-vis des solutions alternatives, n’en sont pas moins porteurs d’une instabilité principielle du champ politique dont nous ne pouvons savoir ce qu’elle donnera mais qui est un élément que nous devons garder à l’esprit devant toute appréciation de l’évolution future de nos sociétés.

Marcel Gauchet