vendredi 1 octobre 2010

Lutter contre le monstre doux : De la culture de masse aux populismes européens


Une convergence des populismes européens semble se dessiner sous nos yeux à l’occasion de la triste affaire de la stigmatisation des communautés Roms, et des parallèles troublants avec des évènements du passé font craindre que des temps sombres se préparent pour l’Europe.

Le débat sur la qualification historique des phénomènes de stigmatisation des Roms a enflammé les passions. Néo-fascisme, phénomène populiste, signe d’une République en danger, d’un Etat de droit en recul, d’une banalisation de la haine ordinaire, rappel du passé douloureux de l’Europe pendant la seconde guerre mondiale ? S’il faut certainement se garder de toute tentation anachronique et refuser les raccourcis historiques, il semble cependant que peu importe véritablement la qualification historique de ce qui se passe, quand tout le monde s’accorde à dire qu’il se passe quelque chose d’inquiétant politiquement…

Mais que se passe t il exactement ?

Aux sources de l’inquiétude : Les rapports dangereux entre Culture de masse et Populisme de masse :
Un ouvrage récent du linguiste italien Raffaele Simone, « le monstre doux », analyse les dérives populistes européennes comme un phénomène plus global lié à « l’air du temps », à l’apparition d’une « culture de masse », «d’un « paradigme culturel attirant et affable » dont « la survalorisation du fun, la recherche effrénée de consommation, la carnavalisation de la vie », « le processus continu de substitution du vrai par le faux, l’infantilisation générale », seraient les éléments saillants…l’attraction très large pour ce nouveau « despotisme culturel » exacerberait les impulsions égocentriques, le refus de trop penser, conduirait à une indifférence envers l’intérêt général, le bien collectif, les comportements vertueux…autant d’indices qui seraient le signe « d’une désorientation de l’homme de gauche » , provoquant une apathie généralisée, une absence de réaction sur la xénophobie ou la stigmatisation de l’autre…

Cette analyse rappelle les propos de Gilles Lipovestski qui écrit depuis 20 ans sur le recul des vertus publiques, l’exacerbation de la sphère privée et de l’individualisme lié à de nouveaux modes de consommation économiques et culturels…

La nouveauté du propos est de relier cette culture de masse triomphante aux populismes droitiers modernes…de considérer donc que la culture de masse, loin de seulement modifier les comportements individuels, trouve une traduction politique populiste.

Quand on regarde le profil personnel d’un Silvio Berlusconi, homme de la vulgarité télévisuelle incarnée, quand on s’intéresse aux préférences culturelles affichées par l’homme Nicolas Sarkozy, sa fascination pour Johnny Halliday, pour les vedettes de variété, ses réticences face à une œuvre littéraire comme « la princesse de Clèves », on se dit que la thèse du despotisme culturel peut surement trouver des incarnations possibles dans certains leaders politiques européens adeptes de la culture de masse…Comme si un populisme de masse ne pouvait fleurir que sur le terrain fertile d’une sorte de nouvel opium…

Mais le pessimisme foncier d’un Lipovetsky ou d’un Simone, qui peut faire écho à la traditionnelle critique marxiste de la Culture comme instrument de l’asservissement des masses, est à relativiser au regard des réactions des citoyens européens qui se mobilisent pour dire leur inquiétude et leur refus des stigmatisations ces derniers jours.

Un pessimisme culturel à relativiser, des indignations nécessaires aux actions politiques à mener pour faire reculer les stéréotypes :
La très large médiatisation des stigmatisations des Roms, à l’échelle française ou européenne, semble provoquer des réactions salutaires : d’abord des indignations légitimes venues de la gauche républicaine ou de la Commission européenne, réactions nécessaires mais pas suffisantes.

La gauche a toujours été « indignolatre » sans forcément être efficace sur les débouchés politiques naturels de cette indignation :

c’est tout l’échec politique de l’anti racisme en France face au Front National, qui n’a pas empêché le coup de tonnerre de 2002, avec la présence d’un candidat d’extrême droite au deuxième tour de l’élection présidentielle, malgré prêt de 20 ans de mobilisation sur le mode du « F comme Fasciste, N comme Nazi »…

La commission européenne, gardienne traditionnelle des traités, a gagné une dimension de gardienne européenne d’une forme de moralité publique…Mais au-delà de la crispation actuelle, comment agir efficacement, au-delà des indignations légitimes pour trouver des moyens d’actions politiques concrets et durables ?

Dans l’immédiat, En France, l’Eglise, la Cimade, des associations culturelles ou citoyennes agissent déjà sur le terrain, pour protéger les communautés de Roms dans l’hexagone. Mais l’on sait que la stigmatisation des Roms ne se limite pas à la frange occidentale de l’Europe, et que les pays d’Europe centrale ont souvent des relations complexes avec les minorités Roms présentes en Roumanie, en Hongrie ou en Slovaquie…

Le réseau des instituts culturels européens à l’étranger, organisé dans le réseau EUNIC (European Union National Institutes of Culture) présent à l’échelle européenne et internationale, aurait surement les moyens d’agir sur la défense des cultures minoritaires, aurait beaucoup à apporter dans l’interrogation des stéréotypes culturels autour des Roms, en brisant les représentations vieilles comme le monde de voleurs de poules et de maraudeurs, en restituant donc au nomadisme, sinon sa noblesse, au moins sa dignité.

La lutte contre le populisme peut donc également être une lutte culturelle, une lutte de fond et de longue haleine, sur les représentations culturelles et les stéréotypes…voilà un moyen de résister au « monstre doux »…c’est un combat difficile, de David contre Goliath, tant les industries culturelles aujourd’hui sont de véritables rouleaux compresseurs aux moyens d’actions gigantesques…tant la xénophobie trouve sa source dans la nuit des temps…

Mais malgré la difficulté de ce combat, nous devons certainement, comme Thomas d’Aquin, continuer à allumer les lumières de la raison dans la nuit des passions…Au risque que l’ombre gagne peu à peu…

Amitiés socialistes

Boris

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