jeudi 30 avril 2009

Des maisons culturelles de l'Europe ?


Un camarade vient de suggérer l’ouverture de maisons de l’Europe pour relancer notre politique culturelle au niveau français.

Voici quelques réflexions pour accompagner cette analyse :

L'existant : des expériences limitées de centres culturels franco-allemands


Les expériences de centres culturels franco-allemands ont été menées à Karlsruhe et à Ramallah en Palestine. On peut les considérer comme des embryons possibles de futures maisons de l’Europe construites selon l’axe fort germano français. Pour l’instant, leur localisation géographique et leur nombre limité montrent qu’on travaille essentiellement à un échelon symbolique sur des expériences vues avant toute chose comme de la Co-localisation sur un bâtiment commun, c'est-à-dire comme une façon de réduire les couts de fonctionnement de ces structures, et également comme une tentative de dégager une programmation culturelle commune, qui n’a rien d’évidente quand les institutions de rattachement de ces centres culturels restent respectivement le ministère des affaires étrangères et le Goethe institut, avec leurs logiques politiques propres.

Les difficultés d'une action culturelle commune à deux nations :

Il n’est pas évident de penser et d’agir dans le domaine culturel au niveau de plusieurs nations : La création d’un manuel historique franco-allemand est par exemple une initiative que je connais pour dégager les points de convergences, et aussi les divergences, que l’Histoire a offertes à nos deux nations. Elle s’est appuyée sur le fond franco-allemand géré par le MAE, qui aide les projets culturels communs à nos deux nations culturelles. On voit là que faire une programmation culturelle commune ne peut se résumer à célébrer chacun dans son coin, ou à tour de rôle, les trésors ou le patrimoine culturel national en bon voisins. Créer une programmation culturelle ensemble suppose donc un regard historique commun, une pensée du monde commune. Si les horreurs de la deuxième guerre mondiale ont abouti, via la construction européenne, à une quête historique pour faire une paix durable, je n’ose dire infinie, je crois que les visions de l’Etat, les conceptions de la Nation, et même la vision de l’Europe comme puissance, ont encore de grandes dissonances en France et en Allemagne.

Une initiative sur les Maisons de l'Europe à prendre au plus haut niveau européen et national ?

Le développement progressif de maisons de l’Europe devrait donc se situer au plus haut niveau politique et symbolique pour dépasser donc ces divergences, ou créer une nouvelle borne historique entre les peuples européens. Créer, pour commencer, une ou des maisons de l’Europe dans des lieux phares de l’UE, à l’occasion des saisons culturelles qui mettent en avant, chaque année, deux villes culturelles phare nommées capitales de la Culture, pourrait être quelque chose d’envisageable.

Les maisons de l’Europe seraient aussi certainement des têtes de pont de notre Culture, ou de nos cultures, vers les pays où le rayonnement Culturel de l’Union Européenne peut sembler essentiel. On imagine tout l’intérêt que pourrait avoir l’installation d’une maison de l’Europe en Chine, aux USA ou dans une grande capitale culturelle Africaine pour ne prendre que quelques exemples évidents.

La création éventuelle de ces maisons culturelles européennes doit relever plusieurs défis :

un défi politique d’abord : la culture française est pour l’instant perçue comme un élément du Soft Power national, et appréhendée comme un élément de notre politique extérieure ; Monter une maison de l’Europe serait évidemment faire un pas vers une sorte de fédéralisme culturel, ce qui suppose donc de se déposséder d’une partie de notre pouvoir au profit d’une mutualisation ou d’une intégration de celui-ci avec d’autres nations. La France est elle prête symboliquement, à mettre sur un même pied d’égalité toutes les cultures Européennes en sortant ainsi de la perspective héritée des 18-19 ème siècles français d’être un phare unique qui éclaire les autres nations de son rayonnement, en sortant ici de sa belle exception ? Cela semble assez improbable pour l’heure. Il faut donc imaginer qu’un projet de maisons de l’Europe serait le fruit d’une double initiative portée au plus haut niveau de l’Etat…et au plus haut niveau Européen.

S’il existe au niveau européen « la stratégie de Lisbonne », une stratégie culturelle et politique, qui vise à faire de l’UE une puissante « économie de la connaissance », on perçoit instinctivement que le mariage entre les sciences et l’économie, s’il est nécessaire, ne correspond pas pleinement à notre vision plus large « des humanités », socle de la Culture, c'est-à-dire du mariage des Arts et des Sciences dans une vision civilisationnelle visant à élever l’homme vers ce qu’il a de meilleur. On voit donc là que pour mettre sur pied des maisons culturelles européennes, un approfondissement de la stratégie de Lisbonne serait nécessaire dans le sens d'un élargissement du contenu même du mot Culture et de l'ambition qu'on lui attribue.


un défi institutionnel ensuite : La France n’aurait aucune vocation à porter seule ce projet de maisons de l’Europe et on voit bien que l’Union aurait certainement vocation à prendre en charge cette gestion avec plus de sens. Faudrait il se limiter, pour accompagner la création de telles maisons, à mettre la main au porte monnaie en augmentant encore notre contribution au budget de l’UE ? le volontarisme est peut être, déjà et pour commencer, à ce prix.


Pour avoir récemment passé un concours européen et m’être intéressé aux « métiers » de la commission européenne, je peux affirmer que le métier « de conseiller culturel européen »n’existe pas, de prêt ou de loin, dans la gamme de métiers que propose la commission. La gestion de la Culture au niveau européen doit elle prendre appui sur une vision intégrée, la commission étant le lieu de la gestion de ces maisons de l’Europe, ou dans une vision nettement plus coopérative, avec la création d’un comité interministériel qui piloterait cette coopération mais en laisserait la gestion à chaque Etat membre ?


A l’heure actuelle le commissaire Jan Figel est en charge du portefeuille global de l’Education, de la jeunesse, de la formation et de la culture, un ensemble vaste qui ne correspond pas à la gestion dissociée française des affaires culturelles et éducatives…Ce grand fourre-tout actuel n’a pas grand sens à mon avis.

il y a aussi surement enfin un défi historique et culturel à relever pour voir la création de ces maisons de l’Europe, celui de réconcilier les cultures latines européennes, des cultures Germaniques, Slaves et anglo-saxonnes. Ici en Pologne on enseigne la « romanistique » c'est-à-dire l’enseignement de toutes les langues latines, avec le français et l’espagnol en tête, sous un angle culturel commun. Ne faudrait il pas commencer à bâtir des maisons de l’Europe latine, des maisons de l’Europe Germanique et slave, pour trouver des programmations « régionales » faisant sens, avant d’imaginer bâtir des maisons de l’Europe ? En allant trop vite, en mettant sur pied des maisons de l’Europe dès maintenant, ne prendrait on pas le risque d’en faire uniquement des vitrines très institutionnelles des activités de la commission ? de proposer uniquement une vitrine à notre diversité culturelle ? en manquant la cible essentielle au passage : car ce qui manque justement à l’Europe actuelle ceux ne sont pas des institutions de plus, ce sont un peu de chair et d’âme, de sortir des logiques culturelles nationales pour enseigner en quoi la civilisation européenne est originale, elle qui se fonde sur l’humanisme des lumières, la force du droit comme modalité de régulation sociale, et sur la confrontation entre philosophie laïque et héritage chrétien sur le partage des affaires temporelles et spirituelles…

Un dernier défi, celui de la place de la culture islamique dans la civilisation européenne :

il faudrait évidemment parler, quand on cherche à définir la Culture Européenne ou la civilisation européenne à travers des maisons de l’Europe, en quoi le dialogue permanent et complexe avec l’islam, en quoi la confrontation ou la relation avec la civilisation islamique, présente sur le sol européen dans les Balkans ou dans le Sud de l’Espagne pendant des siècles, et qui aujourd’hui constitue un des éléments d’identité de nombreux citoyens européens, en quoi donc ce lien culturel a pu enrichir et innerver notre culture européenne commune…Il y a là une richesse culturelle qu’il ne faut pas non plus ignorer.

Boris

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