lundi 15 février 2010

Culture comme bien public Vs Commercialisation de la Culture


A l'heure où le projet de loi sur l'action extérieure de l'Etat va bientôt être discuté en session pleinière au sénat, le 20 février, les sénateurs socialistes de l'étranger se mobilisent pour préparer leurs argumentaires et amendements pour modifier le projet d'origine gouvernementale. Le blog la ligne rouge propose les échanges avec Monique Cerisier Ben Guiga qui défendra un amendement important, au nom du groupe socialiste, portant sur le statut de la future agence culturelle pour l'action extérieure.


Chère Monique,

Je te félicite pour le combat que tu mènes, avec nos camarades socialistes du Sénat, sur la discussion autour du projet de loi sur l’action extérieure.

Je ne peux que t’apporter mes encouragements pour que l’amendement principal que tu soutiens, le choix d’un statut d’EPA (établissement public administratif) au lieu de celui d’EPIC (établissement public industriel et commercial) soit au final adopté en séance plénière.

Ce serait une victoire immense et un soulagement pour bon nombre d’agents du réseau qui suivent avec intérêt les discussions parlementaires mais sont très inquiets de la tournure engagée par la réforme telle que pensée par le gouvernement.



Helene Conway et moi-même avons toujours pensé que la réforme par une agence était viable dès lors que les garanties du service public était respectée et les moyens du réseau culturel sanctuarisés. Or, le projet de loi sur l’action extérieure est effectivement, en l’état, bien peu ambitieux, comme tu le mentionnes, et comporte des éléments inquiétants.



La discussion statutaire « EPA versus EPIC » peut apparaître technique pour les néophytes, mais elle est particulièrement centrale et déterminante pour l’avenir et la forme du réseau culturel français à l’étranger car elle recoupe le débat entre une Culture considérée comme un bien public ou Une Culture commercialisée dans sa gestion :



Une agence culturelle qui fonctionnerait sous forme d’établissement commercial (EPIC) et qui gérerait le réseau des instituts à l’étranger sous ce même régime, entrainerait vraisemblablement une banalisation et une commercialisation de nos activités culturelles et linguistiques menées dans les pays étrangers :



- Ces activités n’auraient plus de raison de relever d’accords de coopération classiques, qui prévoient notamment des exemptions fiscales et un quasi statut diplomatique pour les instituts français à l’étranger à l’heure actuelle. Ce ne serait plus de la diplomatie culturelle qui serait menée à l’étranger, mais de la vente de culture et de cours de langue selon une pure logique de marché.



- Les programmateurs de spectacles, les organisateurs de cours, soumis à une contrainte de rentabilité, auraient donc surement tendance à privilégier les tendances majoritaires de la Culture, à diffuser les « produits » culturels les plus commerciaux, les plus rémunérateurs…peut être parfois les plus racoleurs.



Or, la force de nos programmations aujourd’hui, c’est de pouvoir présenter des spectacles ou des activités sans être immédiatement soumis à un impératif de rentabilité, même si la recherche de financements privés et donc la quête de mécénat, la volonté de rassembler largement le public autour de notre programmation, obligent bien entendu à se soucier de l’intérêt du public, des préférences des entreprises pour aider la venue de tel ou tel spectacle, mais sans s’inscrire dans la logique du court terme ou de l’économiquement profitable. Combien de jeunes musiciens, de créateurs en devenir, de romanciers étrangers qui voient leurs livres traduits en français grâce aux aides françaises seraient pénalisés par cette approche excessivement commerciale ? On suppose beaucoup. Et Beaucoup trop pour que la France puisse continuer à se prévaloir d’une position « d’exception culturelle » dans le monde.



- Les instituts sous statut d’EPIC seraient soumis au droit fiscal local, se voyant appliquer l’équivalent de l’impôt sur les sociétés par les gouvernements locaux, voyant donc leurs ressources ponctionnées lourdement, en étant obligés de renoncer aux pans les moins « rentables » de leurs activités : on imagine par exemple que la diffusion de livres en français, dans les médiathèques des instituts qui sont gratuites ou quasi gratuites pour les usagers, serait donc immédiatement pénalisée et qu’on fermerait des bibliothèques françaises, faute de rentabilité immédiate.



Les biens culturels, la Culture et la langue française, les cultures francophones, les cultures minoritaires, ne sont pas des marchandises.



Il n’y a donc pas de raison dès lors d’envisager l’organisation de cours de français, la diffusion de spectacles, la venue d’artistes et d’intellectuels pour le débat d’idées, la promotion des cultures francophones ou minoritaires, comme des activités relevant de la pure sphère marchande.

Choisir l’EPA c’est choisir le camp du service public et de la diplomatie culturelle. C’est préparer l’avenir du réseau dans la sérénité des réformes bien pensées. Choisir l’EPIC, c’est partir sur la pente savonneuse de la commercialisation et de la banalisation de notre culture, c’est sacrifier l’avenir de ce réseau.



Avec mes amitiés socialistes

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