lundi 1 mars 2010

l'école du vice - récit fictionnel



Chers tous,

Le parti socialiste n’est pas le monde des bisounours ; Il serait certes injuste d’y voir une Cour des Borgia où se cache derrière chaque tenture un assassin prêt à « daguer » son prochain. Mais on ne peut être naïf au point de penser que des élections à fort enjeu, politique et personnel, comme le sont les élections législatives, n’aiguisent pas, pour certains, des passions délétères, des appétits voraces qui incitent à jouer avec les règles statutaires, à approcher les bornes de ce qui est moralement correct et politiquement légitime, pour parfois franchir les limites et les transgresser.

Il est bon d’être déniaisé très vite, quand on a la passion du militantisme, pour éviter de trop grandes déceptions personnelles, et pour toujours savoir agir quand une violation possible des règles collectives se prépare, et quand il est déjà trop tard pour les éviter, pour corriger alors ces entorses élémentaires à nos lois internes ;

Voilà donc le récit, bien évidemment fictif, d’une certaine manière de faire de la politique, un récit depuis l’« école du vice », que je vous demande de voir comme un anti modèle démocratique :

Prenons donc une section. Dans un pays, et sur une circonscription qui vote plutôt à gauche. Cette section possède des effectifs théoriques importants. Elle est une des 2 ou 3 plus grosses sections d’une fédération lambda. Et elle a pris l’habitude de voter « comme un seul homme » au moment de chaque scrutin. Une section de militants aimables pour leur secrétaire de section ? Qui font confiance ? Ou disons des militants qui aiment bien « rendre service ». Car pour eux la politique se résume à se mettre au service d’un « chef ». Et à suivre ses consignes. D’ailleurs, c’est le chef qui leur a expliqué cette définition de la politique. Ils ont été à bonne école. Le chef le leur rend bien d’ailleurs. Il leur rend de menus services ; Les défend quand ils sollicitent une bourse pour leur fille qui veut faire ses études en France. Plaide de sa plus belle voix quand l‘aide sociale n’arrive pas ou est insuffisante. Leur donne le coup de pouce auprès du consulat pour aider la famille qui veut voyager en France ; Il est vraiment sympa le chef. Il a un bon réseau de connaissance. Il sait aider ses amis. Ses camarades. On est dans une grande famille.

En septembre 09, le Chef fait « ses comptes » : même avec plusieurs dizaines de cartes à son actif, « le compte n’y est pas ». Ce Chef, qui est bon en arithmétique, se dit qu’il doit mettre toutes les chances de son côté pour remporter des primaires, être investi. Après tout, n’est il pas le meilleur ? Le plus apte à l’emporter ? Il est le plus apte puisqu’il est déjà à la tête d’une section qui compte plusieurs dizaines d’encartés. Des gens qui lui doivent tout. Qu’il défend. Qu’il chérit. « Ses » gens. Mais il lui faut multiplier les cartes pour être certain de remporter les primaires. Cela tombe bien, il a du temps devant lui avant l’organisation de ces primaires.

Alors il va voir son meilleur copain ; C’est important d’avoir des copains dans la vie. Surtout dans la même section. Ce bon copain est un sage. C’est l’Elu. Un Chef, aussi, qui sait comment remporter des élections ; En plus, le destin a été généreux avec lui. Il possède l’Argent.

L’Elu explique : « L’arithmétique c’est fort simple. Pour 2000 euros, de nos jours t’as plus rien. Que dalle. Même pas une bagnole. Alors que chez nous, dans la fédé, 2000 euros c’est une belle somme ; Un bel investissement ; je vais investir avec toi, le Chef, et comme cela on aura 100 cartes de plus ».

Le Chef – « non, on ne peut pas faire cela, ce serait trop voyant. Faut trouver un autre moyen »

L’Elu « laisses - moi réfléchir »

Le Chef « j’ai une idée ! »

L’Elu « oui ? »

Le Chef « avec tous les services qu’on a rendu à nos gens depuis toutes ces années, il est temps de leur demander un coup de pouce. »

L’Elu « tu as raison. Ils nous doivent bien cela ; Avec tout ce qu’on a fait pour eux ; Vont pas être ingrats. Pis moi aussi je veux être élu cette année ; C’est mon tour tu comprends ; Cette élection pour les sénatoriales, je veux pas la rater »

Le Chef « oui, aller on va appeler tous ceux qu’on connaît, et ils appelleront à leur tour, leurs copains, leurs amis, leurs cousins et cousines, et ensemble on va les avoir nos 100 cartes.»

L’Elu « on va leur expliquer que c’est un investissement. Qu’avec un Sénateur. Un député pour les protéger ; Ils seraient bien protégés. Qu’on leur rendrait plein de service. De nos jours faut savoir investir dans un petit capital. 20 euros c’est quoi ? pas grand-chose. Alors qu’avoir un député comme copain, c’est un super capital anti risque pour être protégé dans la vie »

Le Chef « aller, je les appelle, on y va, Tu seras sénateur mon ami, et je serai député ! ! » (enthousiasme partagé)


… … … … Le temps passe. Une semaine. Deux semaines ; Vient l’heure des comptes

L’Elu : « alors, le compte est bon ? »

Le Chef « mieux qu’espéré ! Ils ont compris que pour 20 euros c’est un bon investissement qu’on leur propose. J’ai 45 cartes potentielles »

L’Elu « et moi, j’ai mieux 55 ! »

Le Chef et l’Elu « Alors là, on va gagner. C’est sûr. On est les meilleurs ; C’est pas de la triche. C’est réglo. On a nos gens avec nous. Ils sont nos amis. Ils voteront pour nous. On va gagner. Un sénateur et un député. Tu te rends compte ! historique ! On est les meilleurs je te dis »

… … … … … … …

« La politique est comme la chasse, on entre en politique comme on entre dans l'association des chasseurs. La grande brousse où opère le chasseur est vaste, inhumaine et impitoyable comme l'espace, le monde politique »


[Ahmadou Kourouma] [+]
Extrait de En attendant le vote des bêtes sauvages

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