mardi 13 avril 2010

La mémoire de Katyn - Crash et massacre dans une forêt de symboles




Chers tous,

Pour comprendre pleinement l’émotion collective qui s’est emparée de la Pologne à la suite du Crash aérien de samedi, il faut faire un retour sur le terrain de la catastrophe et donc se pencher à nouveau vers l’ensemble de symboles revêtus dans un mot : « Katyn » :

Avec le Crash de l’avion présidentiel, il y a aujourd’hui comme un « trop plein » de symboles nationaux et historiques, et plusieurs mémoires qui se confrontent autour de l’histoire d’un même lieu :

- La mémoire nationale polonaise en forme de long martyrologue : Katyn c’est d’abord le symbole d’une nation polonaise vieille de mille ans et qui aime à se rappeler ses défaites militaires ou ses massacres collectifs pour mieux stimuler la résistance face aux épreuves de son peuple : Les massacres perpétrés par les Chevaliers teutoniques (à Gdansk), ceux commis par les troupes suédoises ou Tatars (à Cracovie), en sont les premiers exemples au Moyen Age. Un pays attaqué de tous les côtés, et dépecé plusieurs fois dans l’histoire : par le voisin Allemand, par le voisin Russe, par le voisin Autrichien mais aussi le voisin Scandinave. Un pays et une population déplacés : Ses frontières sont, après la seconde guerre mondiale, déplacées d’un bon tiers vers l’Ouest, au bénéfice de la Russie soviétique, au détriment de l’Allemagne vaincue. Le massacre de l’élite polonaise en 1940 par les troupes soviétiques était un des derniers exemples historiques forts de cette longue litanie de malheurs.

Les polonais sembleraient donc comme « condamnés à la souffrance » dans une lecture chrétienne de l’histoire nationale. Mourir en avril 2010 à Katyn, pour un président et des personnalités politiques et militaires, c’est donc ajouter un chapitre de plus à cette condamnation apparente à la souffrance, au malheur, à « l’écrasement »…mais aussi à la renaissance et à l’effort unitaire qu’appelleraient les grandes tragédies. La réaction populaire et l’immense élan unitaire de la nation polonaise constaté depuis trois jours peuvent être analysés comme une résurgence de cette mémoire en forme de martyr.

- La mémoire anti russe, anti- soviétique, anti communiste : Le massacre de l’élite polonaise par les soviétiques au printemps 40, massacre attribué par la propagande stalinienne aux nazis, mensonge d’Etat longtemps entretenu par le régime communiste polonais et par la Russie soviétique jusqu’à une date récente (C’est Gorbatchev qui officiellement reconnaitra la responsabilité soviétique dans le massacre de Katyn), est l’élément le plus fort d’une mémoire polonaise qui mélange le sentiment historique anti russe, l’hostilité au régime soviétique, et le sentiment anti communiste (le SLD, héritier de la gauche post communiste, occupant aujourd’hui une bordure étroite de 10 à 15% de l’électorat) . Radio Maria, la radio réactionnaire et ultra religieuse de Pologne, commençait hier à remuer le mythe du complot « judéo-communiste » pour expliquer le crash aérien. A cette mémoire, anti communiste, il faudrait donc aussi ajouter les relations complexes entretenues par les polonais avec les juifs et la mémoire de la Shoah. Cependant, il faut préciser qu’il n’y a pas de sentiment antisémite généralisé en Pologne à mon sens (comme on l’entend parfois trop rapidement), et qu’il y a en revanche une « rivalité mémorielle » certaine, la mémoire de la Shoah étant en « rivalité » avec la mémoire des souffrances réelles endurées par les polonais pendant la seconde guerre mondiale (mais c’est un autre sujet, complexe, qui mérite bien plus que cette trop lapidaire analyse).

- La mémoire européenne et celles de ses frontières : Katyn est situé sur la bordure extérieure de l’Europe et la question des frontières européennes est aujourd’hui reposée, dans un certain sens, avec ce drame aérien : Dans les journées de deuil décrétées ça et là par les gouvernements étrangers, on remarquera que l’ensemble, ou presque, des pays d’Europe centrale viennent de décréter des journées de deuil national à la mémoire des victimes polonaises et que les nations d’Europe occidentales, si elles se sentent concernées par le drame, ne sont néanmoins pas allées jusqu’à décréter le deuil officiellement : Voilà donc une fois de plus une carte européenne qui se dessine, « L’Europe des morts» , entre une Europe de l’Est solidaire et qui pleure « ses morts » de Smolensk et celle de l’Ouest, concernée, mais qui ne voit dans ce drame qu’une énième et triste catastrophe aérienne.


- La mémoire des nations : sur les relations particulières entre la Russie et la Pologne : La Russie, qui a décrété une journée de deuil, avec la présence de Poutine sur les lieux du drame ce samedi, également présent aux côtés de Donald Tusk pour l’hommage à la dépouille présidentielle ce dimanche, aura marqué l’effort du régime Russe pour s’associer à la détresse polonaise (et réagir rapidement pour éviter peut être tout sentiment anti russe). Après le discours de Poutine sur le massacre de Katyn la semaine dernière, on voit poindre peut être ici une avancée vers la réconciliation de ces deux peuples et des deux régimes ; La diffusion du film de Wajda, « Katyn », sur les télévisions russes il y a quelques jours, aura permis très largement au peuple russe de prendre pleinement conscience du mensonge d’Etat perpétré et perpétué par le régime soviétique. Les polonais auront pu se rappeler également, en écoutant le discours de Poutine, que des victimes russes figuraient aussi dans la forêt de Katyn puisque furent enterrés là bas des victimes du régime stalinien. Cette forme de « communion dans la souffrance » entre des nations chrétiennes (certes séparées par le catholicisme et l’orthodoxie) est peut être la « bonne nouvelle », la seule, de ce drame. En esprit cartésien et rationaliste, on peut aussi se méfier, d’une certaine façon des élans d’émotions collectives quand ils viennent faire oublier que le massacre de 22 000 polonais en 1940 à Katyn, et le Crash aérien coutant la vie à 96 polonais en 2010, ne peuvent pas avoir ni le même sens, ni la même portée sur un plan historique et que les données géopolitiques des relations russes et polonaises, empêcheront une réconciliation rapide entre des nations rivales, et inégales, dans leurs puissances et intérêts stratégiques.



Pour finir, je dirais que ce drame nous renvoie aussi, en tant que militants français du parti socialiste, à notre propre mémoire politique de gauche, à notre manière de porter témoignage d’amitiés aux peuples frères dans une perspective internationaliste, et à notre façon d’affronter l’adversaire : Faire cesser l’affrontement au nom d’une forme d’union sacrée qu’appellent certaines circonstances tragiques semble évident : beaucoup d’entre nous voyaient dans le président Polonais le symbole d’un nationalisme étroit, un partisan d’une droite conservatrice, hostile aux minorités, fermée sur les questions d’avortement ou de reconnaissance du droit des femmes ou des homosexuels. Mais, au final, le champ de l’affrontement pacifique qu’est la politique, consubstantiellement, appelle surement, dans une période de deuil national, à faire taire les rivalités ressenties envers l’adversaire pour un temps.


Nul n’est obligé d’ailleurs d’adopter une attitude solidaire avec la Pologne parmi nous. Je comprends parfaitement que tout le monde ne se sente pas touché uniformément par cette catastrophe. Les larmes ne se discutent pas. La compassion est un sentiment ambigu. Préférons donc une forme de solidarité internationale dont la portée et la forme relèvent au final de décisions individuelles.


Amitiés

Boris

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