mercredi 12 janvier 2011

une conscience globale pour agir ensemble




Aujourd'hui, je reviens sur le texte envoyé par un camarade de Bruxelles, qui insiste sur le rôle de proximité des élus politiques dans une société en désagrégation sociale.

je développe une analyse sur le thème du "penser global agir local" une antienne politique d'aujourd'hui, en liaison avec le dernier ouvrage de Stéphane Hessel.


Cher Emmanuel, Chers camarades

C’est une analyse qui me semble lucide sur une société compartimentée, inégalitaire, où le monde des campagnes et le monde des villes, tout en s’éloignant l’un de l’autre, sont frappés par les mêmes syndromes de désagrégation sociale.

Il est étrange d’ailleurs que « la communauté de malheurs » ne débouche pas davantage sur une solidarité de lutte, propitiatoire à la création d’une « communauté de destin », de celle qui depuis Renan forgent l’âme et l’unité d’une nation comme la notre :

Je voudrais revenir sur le livre de Stéphane Hessel, dont on parle beaucoup et qu’Emmanuel évoque, et essayer d’en tirer quelques enseignements pour aujourd’hui : non pas sur le contenu du livre, qui me semble relativement basique dans son message de révolte, mais plutôt sur l’histoire du redressement du pays incarné par la génération de Stéphane Hessel au sortir de la guerre :

La génération de Stéphane Hessel a œuvré dans des temps de grandes souffrances, pendant et après la guerre, pour redresser le pays et réinventer son organisation sociale, le programme du Conseil national de la résistance fournissant un cap politique général, un projet de réforme sociale et politique du pays et de nos institutions, qui sera mis en œuvre par les partis politiques issus de la guerre (les mouvements de résistance s’effacèrent assez rapidement devant les partis http://www.crdp-reims.fr/cinquieme/evolution_politique.htm)

Cette « unité nationale » ne dura donc pas longtemps puisque le tripartisme en vigueur au sortir de la guerre (SFIO, PC, MRP) se fera sans les gaullistes, démissionnaires à partir de janvier 1946, puis sans le PC à partir de l’exclusion en 1947 des communistes du gouvernement, la 4eme république gouvernant alors dans l’instabilité des coalitions.

Un pays dès lors gouverné médiocrement, a néanmoins été un pays qui a pu connaitre un redressement économique et social durable, grâce notamment au rattrapage économique bien identifié par un économiste comme Daniel Cohen (qui s’exprimait hier sur les ondes de France 2 dans une remarquable émission sur la crise), d’une économie de croissance continue et durable rattrapant son retard sur les Etats Unis.

Le rôle des syndicats, puissants à cette époque, l’organisation des entreprises et de l’économie en France, autour d’un patronat paternaliste agissant dans un capitalisme de production, permettait le partage « des fruits de la croissance», par le biais d’un classique rapport de force (la véritable indignation serait donc sociale !) mais aussi par l’intérêt bien compris de certains patrons ayant bien deviné l’intérêt d’augmenter les salaires : selon Daniel Cohen, en 10 ou 15 ans, les salaires et le pouvoir d’achat furent ainsi doublé en France, et ces augmentations nourrirent à leur tour la consommation dans une économie n’oubliant pas d’investir pour remodeler son tissu productif en le modernisant (aéronautique, pétrochimie, nucléaire seront dès lors les mamelles industrielles de la France)…

les trente glorieuses furent donc cette période où, malgré une 4eme république bringuebalante, malgré une situation de fin de colonisation douloureuse en Algérie et en Afrique Noire, malgré une classe politique finalement enferrée dans le « régime des partis » et les recompositions incessantes des gouvernements dans un système parlementariste un peu échevelé, la force du développement économique et social s’imposera en France. Certainement grâce aux corps intermédiaires, à leur force d’indignation sociale, et aussi par l’organisation même du capitalisme d’alors, plus équilibré finalement que celui d’aujourd’hui, « plus réformable » au sein duquel les syndicats jouaient un rôle d’aiguillon social plus marqué.

La conclusion et l’enseignement que je tire de cette rapide analyse est qu’il appartient surement aux forces politiques de gauche en 2011 d’aider à la revitalisation d’une conscience collective, en situant les origines de la crise actuelle, qui est tout autant une crise économique et financière, qu’une crise plus globale de civilisation, et en proposant un projet global pour la France et l’Europe afin de retrouver un élan positif pour les peuples de cette partie du monde qui se fasse en bonne compréhension et en bonne intelligence avec les peuples du reste du monde et permettent à nos économies de trouver un nouveau souffle.

Mais cependant, dans un monde complexe, où l’on ne parle plus de gouvernement du monde mais de « gouvernance », pour bien marquer la nouvelle complexité du fait de diriger et de décider ensemble, que ce soit une entreprise, une administration, un pays ou une région du monde, il appartient aussi aux « politiques » en général de faire preuve d’une forme d’humilité en agissant plus globalement avec toutes les autres forces de transformation sociales en œuvre dans notre société et notre vaste monde globalisé :

-La réforme sociale de notre société, proposée ou dessinée par les politiques, ne pourra se faire sans les autres corps intermédiaires qui devront trouver un nouvel élan, je pense notamment ici aux syndicats qui devront tirer partie de la nouvelle loi sur la représentativité syndicale pour se recomposer, pour relancer leurs effectifs et redonner sens à leur projet de transformation sociale, alors que le syndicalisme en France est frappé par une double crise d’ effectifs et de raison d’être.

-La montée en puissance des mouvements sociaux européens, le renforcement des liens entre syndicats dans le cadre des confédérations européennes, la coordination des luttes, devrait permettre de lier ensemble les divers combats sociaux européens, de créer des solidarités de fait entre les travailleurs des diverses parties de l’Europe à 27, de faire pression pour que nos gouvernements cessent d’organiser eux-mêmes le dumping social interne entre les économies de notre communauté.

-L’Europe est l’échelon d’action incontournable, et c’est sa réforme que nous devons avoir en ligne de mire pour lutter contre les populismes européens par la mise en place d’institutions européennes plus démocratiques, plus protectrices pour les peuples, avec un projet européen plus régulateur et moins libéral qu’aujourd’hui (ce qui est un profond défi étant donné le logiciel très libéral qui forme le soubassement du (non) projet actuel en Europe)

-La réforme sociale de notre société ne pourra se faire sans tenir compte du reste du monde et de sa propre évolution : si l’on s’inquiète à raison des effets des délocalisations, de la désindustrialisation accélérée dans notre pays, il faut aussi trouver la voie entre le juste niveau de protection de notre tissu industriel, au niveau français et européen, et le juste niveau de co-développement mis en œuvre pour aider et accélérer le développement des autres nations du monde : plus la Chine et l’Inde introduiront dans leurs économies de développement social, plus la pression à la baisse des salaires en Europe se desserrera…le concept de « juste échange » est surement ici le plus novateur politiquement qu’on ait pu créer ensemble lors de nos débats conventionnels en 2010 au PS.

Le capitalisme financier, dérégulé que nous connaissons depuis 30 ans (depuis Reagan et Thatcher et les mouvements de dérégulation économiques globaux) doit être réformé profondément, et ce sont surement les « BRIC », ces nouveaux émergents que l’on devrait plutôt appeler les « nouveaux puissants de ce monde », qui doivent être convaincus de l’intérêt de modèles de développements durables pour nos économies confrontées à la crise environnementale globale, qui permettent l’enrichissement et l’épanouissement collectifs des peuples et le relèvement des pays les moins avancés par le partage des fruits de la croissance mondiale.

En conclusion, si je crois, comme Emmanuel, au rôle de proximité des élus politiques, je crois aussi à la nécessité des corps intermédiaires dans un pays où l’Etat ne peut pas tout tout seul (c’est l’héritage de la deuxième gauche qui parle ici), je crois de plus en plus à la nécessité, internationaliste, d’agir ensemble au niveau global pour tirer partie, à l’échelon national, des bénéfices d’un monde qui serait régulé et d’un capitalisme qui serait transformé, pour le plus grand bénéfice des peuples.

La lutte est donc globale ; « La tête et les jambes », pensant et se mobilisant ensemble, au niveau européen et mondial. Et au dessus de la tête, une « âme globale », la conscience collective de naviguer sur le même bateau dans l’océan du développement économique mondial.

Amitiés socialistes

Boris


Message d'Emmanuel intitulé "la tête et les jambes"



Bonjour

L’année 2011 reste une année de grands choix, les regards se portent sur nous les militants, à la fin de nos séjours ou de nos repas de fêtes nos interlocuteurs ayant fait le tour de leur menu, de leur projets de vacances pour certains se tournent finalement sur le représentant du PS et alors ?

Indépendamment des choix de personnes que nous devrons acter et au-delà des débats de familles que cela va nécessiter, tout va compter, je pense que le leader devra monter sur le front avec l’ensemble de la diversité du PS.

Les défis économiques, internationaux et environnementaux sont grands, mais ces défis ne seront qu’une partie de l’iceberg que nous devrons affronter.

Le visage de la société française se fissure à l’image de nos sociétés européennes, la sociologie devient complexe, et difficile à toucher.

Stephane Hessel s’indigne à raison avec le recul nécessaire de sa génération et la noblesse de son passé. La reconstruction d’après-guerre correspondait à un élan partagé, et les différents morceaux de la société étaient tous proactifs et engagés par rapport à leur destin.

La posture de Stephane Hessel avait du sens car elle avait un écho dans l’ensemble de la société, au-delà du projet intellectuel de nos résistants, des relais existaient dans la société.

Le post 2010 est dur, tant le répondant de la société est éclaté, la fracture je n’ose plus la regarder. Entre 1990 mon entrée en région parisienne et un retour furtif fin 2010 dans la banlieue ouest, j’ai froid.


Comme dans de nombreuses sociétés occidentales, le populisme fait ses choux gras face aux impatiences du peuple, face aux problèmes, la raison est mise aux placards, le discours de proximité, de la cause immédiate l’emporte, c’est la tendance du consumérisme. Une tendance lourde mis en avant par le journal Suisse l’hebdo en prenant exemple sur le cas de l’Italie. Personne n’est épargné, les partis politiques, mais même les églises, le mouvement évangélique progresse. Ce dernier propose une réponse facile aux questions des pauvres. Le but affiché est le résultat à court terme. Notre nouvelle madone de bar s’appelle Marine.

Les riches sont aveugles et deviennent exigeants. Par la force des choses leurs quartiers sont coupés du reste de la société, les prix de l’immobilier organisent une ségrégation parfaite. Pressurés par leur activité professionnelle, leur échappatoire est le prochain voyage et leurs prochaines vacances de plus en plus loin pour découvrir le monde et peut être fuir l’immédiat.

Un ami me parle de sa fille de 16 ans déjà partie un an en Nouvelle Zélande, intuitivement heureux de ce choix à comparer avec les US une destination banale. Un éloignement salutaire pour son adolescente qui avait besoin d’éloignement pour prendre du recul, un recul dirais je utile mais pour une somme de 10 000 euros. Nous avons tous besoin d’éloignement mais jusqu’où se feront les limites de nos choix.

Je suis perdu, il y a 20 ans dans cette ville de la région parisienne je pouvais encore m’identifier aux parents de ces cadres supérieures, ces derniers s’évadaient dans nos campagnes françaises, une façon de retoucher terre et ils me disaient qu’ils avaient mangé des nouilles pour acheter leurs maisons. Le slogan « travailler plus gagner plus » parle à ces générations de plus de 60 ans, Sarkozy le sait et il axe sa campagne sur la génération des trente glorieuses, mais pour la suite c’est de la folie.

Les pauvres se regroupent, les cas extrêmes apparaissent sur le trottoir en devanture, en fait ces cas restent isolés, la masse est calfeutrée dans son quartier sans projet. Mes fils pourtant aguerris dans leurs parcours bruxellois, ont les yeux ébahis face aux bandes d’ados zonant dans la galerie de la gare du nord. Avec juste pour miroir, les vitrines de gadgets, symboliquement nous sommes dans un passage souterrain, nous flottons dans une parenthèse un 31 décembre. Le lendemain nous boirons le champagne à la Celle St Cloud.

Un pasteur ancien syndicaliste m’écrit ses vœux avec un certain pessimisme, hors de région de parisienne à Chaumont en Haute Marne (52), la campagne tranquille loin de Paris, pourquoi aurait-il à pleurer ? Il est confronté à la ségrégation des quartiers et au vide culturel. Il fait de l’animation socioculturelle avec les moyens du bord, mais surtout il est face à la passivité des hommes. Cela le déprime.

Globalement nous avons les chiffres et nos analyses statistiques qui permettent de connaître cette situation, et de la suivre. C’est un suivi conjoncturel de la pauvreté. La question n’est pas tant l’inégalité financière, mais l’inégalité en termes de mobilité et de projet pour certaines personnes.

La gauche devra rassurer par rapport à sa maitrise des grands sujets, mondialisation, analyse économique, sa connaissance de la situation et son savoir faire en terme de répartition (protection sociale, retraite, santé)

Mais la gauche devra avoir des relais de terrain et des hommes de proximité. Je pense que nous avons de nombreux élus locaux, leurs poids doit pouvoir compter.

La tête et les jambes

Emmanuel

Section de Bruxelles

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