jeudi 20 janvier 2011

réseau culturel, espoir ou désespoir ?


Chers amis,

Le journal "Le Monde" se fait aujourd’hui l’écho d’un nouvel SOS lancé pour sauver le réseau culturel français de l’étranger. Cette fois ci c’est un ancien conseiller culturel qui monte au créneau (Cf l’article ci-dessous).

En 2010, nombreuses avaient été les Tribunes de presse pour dénoncer les coupes budgétaires dans le réseau diplomatique français, en particulier une chronique datée de l’été dernier co-signée par Alain Juppé et Hubert Védrine, et qui mettait l’accent sur les difficultés de fonctionnement de l’outil diplomatique français, et indirectement, l’abandon du réseau culturel, éternelle variable d’ajustement budgétaire du ministère des affaires étrangères.

La réforme Kouchner, accouchée dans la douleur, a abouti à la création d’un Institut français à Paris qui se veut une tête de réseau pour les différents instituts culturels du monde entier. Déjà une douzaine de postes diplomatiques verront dans les semaines à venir leurs établissements culturels rattachés à la nouvelle maison mère parisienne. En clair, cela signifiera que, désormais, moyens et stratégies de ces instituts seront gérés depuis l’Institut français de Paris et ne passeront plus par les fourches caudines de la Direction générale de la Mondialisation du ministère des affaires étrangères qui assure pour l’heure encore la tutelle des instituts culturels du réseau diplomatique.

Faut il se réjouir de cette expérimentation ? oui vraiment, si l’on considère le ministère des affaires étrangères comme « un bien mauvais maitre », et les Ambassadeurs comme des diplomates voyant, au mieux, le réseau culturel comme une belle danseuse qu’on est heureux de donner en spectacle de temps à autres, au pire, comme un réseau peuplé de « saltimbanques » qui vient parasiter de trop longue date la « noble action diplomatique française » (sic), celle mise en œuvre dans les Chancelleries…

Notre parti a fait depuis longtemps de la création d’une agence culturelle autonome, sur le modèle de l’AEFE, une des propositions fortes de son programme pour l’étranger. Cette proposition était contenue dans le programme présidentiel de la candidate Ségolène Royal et elle est portée depuis environ une dizaine d’année par le PS

Au-delà des motifs d’espoirs que peuvent donc susciter cette création de l’institut français à Paris sur les bases de Culture France, des motifs d’inquiétudes demeurent :

l'inquiétude sur les moyens de fonctionnement d’abord : les baisses de crédits et de postes continuent dans le réseau culturel, et l’année 2011 sera encore une fois celle du tribut à payer à Bercy, plus d’une centaine de postes d’agents du réseau devant être sacrifiés, des « missions d’audit » ayant commencé les coupes de postes en 2010 à Prague (une quinzaine d’agents d’instituts licenciés) ainsi qu’en Espagne et en Italie.

En 2011, on annonce de nouveaux « audits » dans les pays d’Europe Centrale (Pologne) ainsi qu’au Mexique ou dans d’autres postes culturels dont les « modèles économiques sont jugés déficiants ». Le langage en vigueur dans le réseau est désormais plus celui des comptables que des animateurs culturels…

Plus grave et au-delà des chiffres et du problème des moyens, le réseau culturel français continue à être divisé dans sa dualité entre des Alliances françaises plus autonomes, du fait de leur statut associatif, mais souvent aussi plus désargentées (parmi le millier d’AF dans le monde, seule une minorité est conventionnée par la Fondation Alliance de Paris et aidée par le ministère), et des instituts français qui sont les opérateurs privilégiés des services d’action culturelle des Ambassades pour agir avec des moyens publics souvent plus conséquents qu’en Alliance.

Cependant, les impératifs d’auto financement s’appliquent également de plus en plus en institut, et quand une structure est jugée insuffisamment rentable, c’est la fermeture qui est rapidement programmée (Cf une actualité récente en Suède que je laisse le soin à notre ami Christophe de développer)

Une autre critique concerne aussi Culture France, celle de la faible ambition de démocratisation culturelle de cette structure qui est le pivot du nouvel institut français à Paris. Trop élististe Culture France ? sans doute. Laissons le bénéfice du doute au nouvel Institut pour travailler sur de nouvelles bases dans les mois à venir…nous jugerons sur pièce.

Enfin, on ne sait pas trop quelle est la feuille de route du réseau culturel :

doit il rester un levier d’action diplomatique ? si oui, où doit s’arrêter l’autonomie de ce réseau et comment articuler son rôle avec l’action diplomatique globale des Ambassades ? S’il n’est plus un levier d’action diplomatique et qu’il devient un opérateur culturel en concurrence directe avec les industries culturelles mondiales, n’y a-t-il pas le risque d’une dilution de notre action et d’une faiblesse de nos moyens face aux mastodontes agissant dans les champs de la culture Mainstream (cinéma, musique) ? doit on dès lors agir dans des « niches culturelles », comme le spectacle vivant (théâtre, cirque etc…), la promotion de l’art contemporain, la promotion des cultures locales, afin de garantir une expression culturelle diversifiée, y compris et surtout quand ces cultures ne sont pas « rentables » ?

Comment continuer à garantir une aide au développement culturel dans les pays les moins avancés si nous nous replions sur une action culturelle privée de moyens publics et visant impérativement l’autofinancement et la rentabilité ?
Autant de questions sans réponse aujourd’hui…le réseau culturel a donc autant besoin « d’états généraux » pour poser et définir un nouveau cap et de nouvelles missions, que de moyens publics pérénisés…

A l’heure où la Tunisie se révolte et fait sa révolution démocratique, rappelons aussi que de nombreux instituts jouent le rôle de vecteur de démocratie, par l’accès à la presse étrangère qu’ils procurent dans leurs bibliothèques, par l’espace de liberté et de débat qu’ils fournissent souvent aux élites locales qui peuvent s’y réunir et s’y frotter au meilleur de la pensée française.

Derrière les questions culturelles se dissimulent donc aussi des enjeux plus globaux, comme celui de l’accès à la liberté, celle de penser et de s’exprimer, que le réseau culturel français est à même de garantir dans des pays dictatoriaux.

Boris



Ci dessous la tribune du journal Le Monde

"Il faut sauver le réseau culturel français à l'étranger"
LEMONDE.FR | 20.01.11 | 09h16

Depuis trois ans on assiste à la liquidation discrète de ce qui faisait depuis plus d'un siècle l'une des spécificités françaises dans le monde : son réseau culturel, composé d'instituts (voués principalement à l'enseignement du français), de centres culturels, d'Alliances françaises (de statut local, mais respectant le cahier des charges de l'Alliance française de Paris), d'instituts de recherche et de "maisons" ou académies (résidences de chercheurs ou d'artistes), tous coordonnés localement par le Service culturel et de coopération (SCAC) des ambassades.

C'était notre image de marque, le fonds de commerce de la France, le réseau le plus dense du monde, facteur d'une soft power sans égale pour employer le jargon à la mode. Ce réseau, qui reste le modèle du genre pour beaucoup de pays, le gouvernement actuel (et M. Kouchner en particulier lorsqu'il était au Quai d'Orsay) est en train de le démanteler en toute discrétion puisque aussi bien l'opinion hexagonale n'en connaît guère l'ampleur ni la réalité : interrogez votre voisin ou vos proches.
Or, un centre culturel n'est pas une danseuse, même si Bercy cible depuis longtemps ces centres de rayonnement de notre pays dont la "rentabilité" est évidemment difficilement chiffrable. Pourtant, ce rayonnement "rapporte" au plan de l'influence et même de la balance des paiements. Croit-on que ce maillage mondial n'était pour rien dans le fait que Paris et la France sont encore la première destination touristique mondiale, en raison bien sûr, et principalement, de leur richesse culturelle et du foyer intellectuel qu'ils sont depuis toujours ? Nos centres en étaient les relais, fréquentés par des dizaines de milliers d'étudiants et de visiteurs.

Preuve de cette efficacité, d'autres pays, imitant notre système, et alors même que la France ferme boutique, se mettent, eux à ouvrir des établissements similaires : la Chine ouvre partout de grands et efficaces "centres Confucius", et l'Espagne se lance, quant à elle, dans un beau projet de développement d'excellents "centres Cervantès", l'une et l'autre pour diffuser leur langue et leur pensée. Bercy n'est pas la seule instance qui avait à l'œil notre réseau : le ministère des affaires étrangère lui-même supportait mal cet archipel où œuvraient des agents pour l'essentiel, de par leurs fonctions, issus de l'éducaton nationale ou de ministères techniques. C'était aussi le cas de beaucoup de conseillers culturels des ambassades (chefs des SCAC), qui font localement fonction d'inspecteurs d'académie et étaient donc eux-mêmes des enseignants à l'origine.

Soucieux de conserver ces postes prestigieux dans son giron, le Quai d'Orsay a progressivement remplacé presque tous ces intrus par des diplomates de carrière, dont ce n'est pas tout-à-fait le métier. Quant aux établissements qu'ils gèrent, on n'y trouve presque plus aucun professeur détaché, sauf en contrat local (et souvent mal payés), même dans le réseau des écoles et lycées français destinés en priorité à nos ressortissants et gérés par une agence distincte.

400 POSTES SUPPRIMÉS

Comme si cette éviction ne suffisait pas, Paris a désormais prévu de supprimer dans les trois ans 400 postes dans les SCAC, que les ambassadeurs vont devoir désigner. Ne subsisteraient, en Asie par exemple, que quelques gros postes dans les pays émergents à la mode (Chine, Inde) alors que notre fierté était de mailler la quasi-totalité des pays, où la France jouissait (jouit encore pour le moment) de relais solides qu'on va sacrifier et qui nous oublieront. Un petit pour cent de ce qui va être, d'un trait de plume, attribué massivement à la Chine ou à tel autre très grand pays suffirait pour laisser allumées des petites loupiotes un peu partout.
Dans les centres, on assiste aussi depuis quelques années à une dérive inquiétante. Partout, on cesse de favoriser l'enseignement du français et on consacre l'essentiel des crédits à l'action artistique, souvent coûteuse. Faire venir une exposition ou une troupe prestigieuse, si on en a les moyens, c'est bien et ça plaît toujours aux ambassadeurs parce que cela se voit et impressionne leurs collègues étrangers. Mais une fois la troupe ou l'orchestre reparti, le public local a vite oublié, tandis que les centaines ou les milliers d'étudiants qui viennent assidûment deux ou trois fois par semaine suivre des cours de français et fréquenter la bibliothèque et la cafétéria du centre constituent une clientèle fidèle qui reste longtemps liée à la France.
Là où elles existent, les Alliances françaises font bien ce travail, mais elles n'existent pas partout et elles ne dépendent pas directement de nos services. Les activités culturelles elles mêmes étant victimes des coupes budgétaires, les directeurs de centres sont de plus en plus obligés de chercher des "sponsors" locaux, mais c'est de plus en plus difficile et cela aliène notre indépendance. Résultat : certains centres prêtent nos locaux à des confrères étrangers, ce qui peut être sympathique (dans le cadre européen) de temps en temps, mais pour le coup, n'est pas défendable devant les contribuables français.
Cerise sur le gâteau, M. Kouchner, qui n'avait aucune expérience en matière d'échanges culturels, a transformé le conseiller culturel de certaines ambassades en "attaché humanitaire" comme si les deux fonctions avaient quelque chose en commun. Bien sûr, dans ces postes, l'essentiel des crédits passe à l'humanitaire, souvent d'ailleurs pour des actions multilatérales, ce qui est défendable mais ne confère aucune visibilité à l'action de notre pays. Un centre culturel français, ce n'est pas Médecins sans frontières.
Tout n'est peut-être pas perdu si Mme Alliot-Marie, plus sensible sans doute que son prédécesseur à la diplomatie culturelle de notre pays, met à profit son arrivée récente au Quai d'Orsay pour redresser immédiatement la barre et remettre les choses d'équerre. Il a fallu parfois des années d'efforts et de négociations pour ouvrir certains centres dans des pays "sensibles" et implanter le français dans certaines régions du monde.
Ne laissons pas s'éteindre ces foyers de présence française qui coûtent très peu et in fine rapportent beaucoup parce qu'ils font que la France est encore, malgré sa démographie, une puissance mondiale, présente partout par l'esprit et la culture. C'est de leur survie aussi, ou de leur disparition, que dépend la réponse à apporter au livre de Jean-Pierre Chevènement : La France est-elle finie ?

Jean Hourcade, ancien conseiller culturel

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