mercredi 23 février 2011

devoir de réserve et fonctionnaire citoyen





Chers amis,

Le débat initié autour de l’enseignant ayant manifesté en Egypte avec une pancarte « casse toi pauv’con », et qui s’est retrouvé « exfiltré » de ce pays par le MAEE qui a invoqué alors le souci de le protéger d’éventuelles représailles du régime, touche à une notion complexe du droit de la fonction publique qui est le devoir de réserve.

Pour m’être intéressé à cette question dans un cadre syndical force est de constater qu’il n’y a pas de définition définitive et précise de cette obligation supposée applicable à tous les agents publics, et qu’elle s’apprécie en fonction de la position administrative de l’agent, de son niveau réel de responsabilité, et des circonstances :

Tout le monde s’accordera sur le fait qu’un enseignant de l’AEFE n’a pas le rôle ou les responsabilités dans le dispositif diplomatique français d’un Ambassadeur ou d’un diplomate de Chancellerie.

On pourrait s’attendre donc à ce que le devoir de réserve soit dans ce cas allégé : Bon nombre de contrats signés par les personnels en détachement auprès du MAEE mentionnent d’ailleurs une simple clause sur l’obligation de « discrétion professionnelle » mais ne comportent pas de clause générale de réserve professionnelle : la discrétion professionnelle est dans ce cas là une forme atténuée du devoir de réserve, elle s’applique avant toute chose aux données et informations détenues par l’agent dans le cadre de ses fonctions /

Il serait a priori donc surprenant qu’un enseignant puisse être sanctionné pour avoir fait usage de son simple droit à manifester et d’avoir exprimé ses opinions politiques publiquement.
Bien sur, tout ce préambule est valable dans une situation administrative « ordinaire » :

En Egypte, alors qu’une révolution semblait en marche, que la sécurité des ressortissants français dans le pays était en question (instructions et messages du MAEE appelant à une forme de prudence et de circonspection au niveau de nos compatriotes), décider d’aller manifester aux côtés des Egyptiens pour faire pression sur le pouvoir en place, relève d’un choix politique déjà plus audacieux : Sans nul doute, l’enseignant a-t-il donc considéré qu’il était de son devoir politique et citoyen d’aller se joindre aux manifestants et que ce choix ne relevait pas d’une dimension administrative. L’enseignant s’est peut être senti, légitimement ou pas, momentanément délié de toute obligation de discrétion ou de réserve, comme aussi de toute obligation plus générale de prudence.

Ce qui ajoute a la complexité de cette affaire est que le slogan « casse toi pauv’ con », désormais fameux, et mentionné sur la pancarte du professeur manifestant, est une référence non dissimulée au chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy qui a pu, en France, faire valoir devant la justice « l’atteinte au Chef de l’Etat » que ce slogan constituerait.

L’écho médiatique donné à cette affaire a rajouté également une couche supplémentaire de complexité, dans la mesure où la diplomatie française est en ce moment mise en cause assez largement dans la gestion de la crise Tunisienne, et plus globalement, dans la gestion consulaire des communautés françaises des pays confrontés aux mouvements de révolte populaires.

Conclusion possible :

Que le Quai d’Orsay évoque la sécurité d’un enseignant pour l’évacuer du pays, après que la presse française ait fait largement écho à cette affaire et ait publié des photos de l’enseignant dans les manifestations, montre un zèle protecteur que l’on aimerait voir appliquer à toutes les communautés françaises en danger potentiel, partout dans le monde. Espérons que ce zèle fasse école dans d’autres crises internationales de ce type, puisque « la théorie des dominos » ou « l’effet tache d’huile »montre que des révolutions sont en cours dans le monde arabe et au Maghreb.

Que l’enseignant n’ait pas été sanctionné réellement au final, contrairement aux premières informations qui avaient filtré, montre que le Quai d’Orsay possède une forme de discernement et que, sous la pression de l’opinion scandalisée par cette affaire, ou de sa propre initiative, cette administration possède encore un peu de mesure et respecte aussi le « droit à manifester » ou la simple « liberté d’opinion », y compris quand Nicolas Sarkozy et Hosni Moubarak sont visés par la colère d’un manifestant portant une pancarte « casse toi pauv’ con »

Ma conclusion personnelle est que les cas les plus choquants de sanction ou de pressions contre des personnels employés par le MAEE ne sont pas ceux dont on parle largement dans la presse, mais justement ceux dont on ne parle pas :

depuis 2010, le nombre de cas signalés de harcèlement professionnel ou de pression contre des agents employés par le Quai semblent en nette hausse, c’est du moins ce que signale un syndicat comme la CFDT qui s’est largement emparé du sujet ces dernières années ;

Dernièrement, des instructions très claires sur le respect de l’éthique, de la juste mesure dans les relations professionnelles au sein des postes diplomatiques ont été rappelées aux Ambassadeurs : Au-delà du cas de l’enseignant – manifestant en Egypte, il faut souhaiter que le Quai d’Orsay applique mesure et modération dans le rappel du devoir de réserve, arme dégainée de manière souvent trop intempestive pour sanctionner des agents « qui dérangent » ou « posent problème »…

Il n’y a jamais rien de dérangeant à faire valoir ses opinions dans une démocratie. Le « fonctionnaire citoyen » cher à Anicet Le Pors, ancien ministre de la fonction publique de Pierre Mauroy, est libre de ses opinions, cette liberté étant garantie par son statut et l’obligation générale de réserve n’existe pas et ne saurait donc lui être opposée sans discernement.

Amitiés

Boris


Cf : un article d’Anicet Le Pors tiré du journal Le Monde
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3372

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