jeudi 28 mai 2009

Quel protectionisme européen ?


Aujourd'hui, ma réponse à un camarade sceptique sur les chances de victoire du PS aux élections européennes et qui votera pour "le Front de Gauche"en estimant notamment que le débat crucial sur le protectionnisme européen n'a pas été suffisamment abordé par le parti socialiste...l'occasion donc d'une explication sur le protectionnisme que nous pourrions appeler de nos voeux en tant que socialiste...sur un terrain politique subtil que De Villiers et la droite souverainiste européenne de Libertas tentent d'occuper lors de cette campagne...vous aurez compris que leur protectionnisme étroit et frileux...n'est pas le notre !


Cher Jean François,


Pour ma part je voterai PS aux européennes. Par réflexe politique et par loyauté pour le parti dont je suis membre. C’est le côté bon soldat – militant qui s’exprimera. Parce que le Manifesto, malgré ses défauts et toutes ses ambigüités, demeure un pas en avant vers une Europe un peu plus juste… « juste un tout petit peu plus juste » serait il plus lucide de dire…mais par ce que c’est la direction choisie qui compte et pas la vitesse de la remise en route alors que l’Europe semble à se point à l’arrêt et en panne d’idées sous Barroso, je voterai donc pour des socialistes européens qui vont dans le bon sens et ont rallumé le moteur social de la machine européenne…faute de l’avoir encore mise en branle.

Après cette explication de vote, je souhaiterai aussi comme toi parler de protectionnisme européen…pour dire à ta suite que le débat sur le protectionnisme n’a pas eu lieu…alors qu’il est essentiel…et que c’est un débat nécessaire mais risqué car nous avançons sur un terrain politique potentiellement miné.

Une interview récente de De Villiers dans le journal Le Monde titrée « il faut un protectionnisme européen » m’a fait frémir. L’article est faussement alléchant car le protectionnisme et la préférence communautaire de De Villiers ne sont en fait qu’une resucée de la préférence nationale de JM Le Pen et que l’argumentaire villieriste, même paré des fleurons sociaux, respire quand même au final la méfiance à l’égard de l’étranger…

http://www.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2009/05/27/philippe-de-villiers-il-faut-un-protectionnisme-europeen_1198787_1168667.html

Pourtant quand on lit la phrase suivante tirée de l’article on a presqu’envie d’y souscrire, et on verra là toutes les difficultés que l’on aurait à se démarquer facilement d’une droite traditionnelle européenne souverainiste sur ce thème :

« un cordon d'écluses douanières variables et modulables en fonction des secteurs fragiles ou stratégiques que nous souhaitons protéger, et aussi en fonction des pays avec lesquels nous commerçons. En effet, nous sommes entrés dans un nouveau monde : le monde de l'échange inégal. Et lorsque nous commerçons avec des pays qui n'ont aucune protection sociale ni aucune protection écologique, il faut mettre ces écluses, c'est-à-dire rééquilibrer les prix des importations en provenance de pays à bas coût de main-d'œuvre et qui, eux, n'ont pas de protection sociale »

Cet argumentaire on pourrait donc (presque) le faire notre en tant que socialiste et il est d’ailleurs très proche, en apparence, des arguments sur le protectionnisme européen que réclamait Benoit Hamon pendant la campagne du dernier Congrès.

J’en rappelle ici la synthèse : Protéger l’Europe et nos emplois en relevant progressivement le tarif extérieur commun de l'UE ...pour éviter une destruction encore plus avancée de l'industrie et du tissu économique de notre vieux continent...et pour créér les conditions d'une remontée des salaires et de la demande intérieure européenne...au lieu de préférer la relance de la demande extérieure...Chinoise ou mondiale. Un protectionnisme qui passe aussi par la réforme de l’OMC et de ses règles de libéralisation à tout crains…un protectionnisme donc qui ne devrait pas s’inscrire uniquement dans une démarche unilatérale de l’Europe mais passer par une réforme globale des mécanismes libre échangistes et dérégulés du commerce et de l’échange au niveau mondial…Puisque c’est précisément ce libéralisme et sa quête de l’avantage comparatif à tout prix qui affame les ouvriers et employés chinois…tout en détruisant des emplois européens…dans un gigantesque mouvement d’harmonisation par le bas…

Là où se situe notre principale différence politique avec l’adversaire, c'est-à-dire avec De Villiers et Libertas, c’est que nous ne souhaitons pas que l’Europe devienne une citadelle économique et politique fermée au monde…et que si des mesures de protectionnisme défensif il y avait en Europe, elles devraient s’accompagner nécessairement et en contrepartie d’une politique de coopération importante tant avec les pays en voie de développement qu’avec les nouvelles grandes puissances régionales tels que la Chine l’Inde ou le Brésil et d’un changement des règles mondiales.

Par ailleurs, en tant que socialistes internationalistes, nous ne devons pas isoler la question du protectionnisme économique des questions liées à l’immigration. Séparer ces thèmes et ces questions, alors qu’elles sont liées (car nous promouvons une vision du monde et des sociétés européennes « ouvertes » aux citoyens des autres pays) c’est prendre le risque de se faire piéger dans de faux débats et de se retrouver in fine côte à côte avec les plus odieux nationalistes xénophobes européens…

Il faudrait rappeler dans un éventuel débat sur le protectionnisme européen que nous sommes clairement opposés à une Europe qui construirait à ses frontières des murs infranchissables face aux migrants perçus comme des hordes de prédateurs. …Que notre vocation est celle d’une immigration humaine, généreuse, et apaisée dans son regard sur l’autre…C’est cette vision qu’évoque, bien qu’en demi teinte, Le Manifesto qui parle de « développer la coopération avec les pays d’origine et de soutenir le système européen commun d’accueil des réfugiés ». En tant que socialistes français nous sommes je pense nombreux à souhaiter aussi des plans de régularisations massifs en France et dans d’autres régions d’Europe où la clandestinité obligée de bon nombre de migrants économiques travaillant dans l’économie souterraine de l’Europe, dans ses soutes et dans ses caves, créé des situations humainement choquantes et économiquement désastreuses pour les intéressés réduits à être le lumpen proletariat de nos économies européennes.

Je crois donc pour résumer, en m’excusant d’avoir été un peu long, qu’il serait nécessaire d’’avoir ce débat sur le protectionnisme européen en effet…mais que cette campagne nous a obligé à l’urgence de combattre Sarkozy et Barroso en sortant les argumentaires « contre »alors qu’il aurait certainement mieux valu, dès le départ, s’avancer sur des thèmes comme le protectionnisme, qui réclament temps, analyse et débats contradictoires, pour convaincre le plus grand nombre de citoyens européens de voter pour nous…

Espérons donc que ce débat aura lieu…une autre fois…ou sur ce forum pour commencer…car il est crucial, et qu’il est certainement « à vocation majoritaire »comme tu le dis si bien…

L’audace intellectuelle et politique n’a pas eu forcément toute sa place dans cette campagne pour l’heure…même s’il reste quelques jours encore pour que s’approfondisse le débat européen.

Amitiés fraternelles



Boris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire