vendredi 29 mai 2009

Beregovoy Mitterrand et les chiens (3ème épisode)


"Quand l'ivresse de l'éloquence fait écho à l'ivresse du pouvoir"


Je crois que Mitterrand était en effet un trop habile rhétoricien pour s’exposer frontalement à une diffamation de la presse, qui avait fait son travail, et qu’en rusé manipulateur, comme le signifie William, il a utilisé une formule allusive, référencée historiquement, pour brocarder les journalistes pendant le discours hommage à Pierre Bérégovoy :

« Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie, au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celle qui protège la dignité et la liberté »

Mitterrand s’en prend donc directement aux « accusateurs » de Beregovoy : soit bien évidemment la presse, puisque c’est le Canard Enchainé qui a révélé le prêt sans intérêt de Roger Patrice Pelat à Beregovoy et c’est encore les journalistes qui ont maintenu Bérégovoy sous le feu croisé d’articles le mettant en cause dans les affaires Pechiney ou Société générale où de très proches collaborateurs de celui qui était alors ministre de l’économie avaient joué un rôle trouble assimilable à du délit d’initié.

http://www.lexpress.fr/informations/la-blessure-des-affaires_594266.html

Il est vrai que ces « accusateurs » évoquées par Mitterrand pourraient tout aussi bien être les juges, et l’accusation portée par Mitterrand dans ce cas là serait particulièrement troublante pour un président de la République garant constitutionnel de l’indépendance de la justice…

Quelles étaient les motivations réelles de Mitterrand pendant ce discours ? On ne peut que se hasarder à quelques suppositions psychologiques, à des hypothèses politiques, mais on peut aussi recenser quelques faits historiques avérés pour illustrer les rapports compliqués de Mitterrand avec la presse :

Psychologiquement, nul doute que ce monstre froid de Mitterrand ait pu, tout de même, être capable d’émotion et de compassion lors du discours hommage sur celui qui avait été un de ses proches. Et qu’il ait voulu restaurer par là un peu de la dignité de Bérégovoy…Mais je vois aussi un plaidoyer Pro domo de Mitterrand rendant hommage à Mitterrand, lui qui était resté étrangement silencieux et distant dans les derniers instants de vie politique de Béré, notamment après la cuisante défaite des législatives de 1993, le laissant assumer seul cette déroute. Comme si le silence politique et médiatique du Président de la République et des bons amis socialistes de Solferino, coupables d’avoir lâché Béré, avait été préférable au tumulte entretenu des journalistes …



Politiquement, le président de la République bétonnait encore un peu plus dans ce discours la statue du commandeur, fin lettré au dessus de la mêlée, absorbé par les questions métaphysiques du vieux sage malade, cultivant l’image d’un président de la République éloigné des contingences strictement politique et déjà entré de son vivant dans l’Histoire…La vérité était tout autre. Mais Mitterrand avait finalement copié une leçon de De Gaulle selon laquelle « il n’y a pas de pouvoir sans mystère et de mystère sans éloignement » (inutile de dire qu’en tant que militant, je plaide pour une vision de la politique plus modeste et moins grandiloquente)



« Plaire émouvoir convaincre » comme définition de l’éloquence classique. Mitterrand avait certainement lu Cicéron…et L’ivresse de l’éloquence Mitterrandienne dans ce discours désormais historique, faisait donc écho à l’ivresse du pouvoir socialiste à l’Elysée…1993… soit la douzième année au sommet de l’Etat dans une atmosphère déjà crépusculaire…mais où l’argent continuait à faire tourner bien des têtes…



Mitterrand à cette époque avait maille à partir avec la presse. Notamment avec Edwy Plenel et Le Monde qui avaient révélé l’affaire des mises sur écoute de journalistes et de personnalité de la culture sur ordre de l’Elysée.

En 1994, soit quelques mois après la mort de Béré, les révélations faites par Pierre Péan sur le passé Vichyste de Mitterrand allaient définitivement le fâcher avec une « certaine presse »…c'est-à-dire celle qui fait son travail d’enquête…

Les chiens à l’époque, car il y en avait des meutes entières durant cette époque délétère, n’étaient donc pas les journalistes…mais les hommes politiques enivrés par l’ivresse du pouvoir et par une forme d’impunité, que des juges courageux et un certain nombre de journalistes exemplaires dans leur désir de faire éclater les vérités dérangeantes, auraient l’occasion de brocarder justement…


Amitiés fraternelles


Boris

1 commentaire:

  1. Je viens de tomber par hasard sur votre article, par ailleurs intéressant. Seulement, la fin laisse penser que Bérégovoy faisait parti de ces hommes politiques que vous appelez "chiens". Mais je ne suis pas sûr que c'était votre intention. Car dans ce cas précis, il y a bel et bien eu un acharnement médiatique complétement démesuré par rapport aux "fautes" du Premier ministre. Je ne sais pas si Mitterrand était sincère ou non, mais je trouve qu'il y avait un fond de vérité dans ses propros.

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