jeudi 26 août 2010

Bercy - Quai d'Orsay, les relations dangereuses



Suite à la parution d'une très bonne tribune publique dans le journal Le Monde, écrite par des anciens secrétaires généraux du Quai d'Orsay et rappellant les authentiques efforts budgétaires du ministère des affaires étrangères, je transmets ce commentaire complémentaire sous forme d'analyse provenant de mon vécu syndical (j'exerce depuis 2005 des fonctions de représentant du personnel au sein du Comité technique paritaire du Ministère des affaires étrangères)...Alors que l'ogre de Bercy demeure toujours aussi insatiable (rappelons que les budgets triennaux qui forment désormais l'horizon budgétaire pluriannuel de l'Etat prévoient des baisses de crédits pour le MAE jusqu'en 2012...) on peut se dire que la curée organisée autour du MAE n'est pas prête, hélas, de se terminer.

La tribune du Monde appelle deux précisions complémentaires sur les rapports de "rivalité" entre Bercy et le Quai :
Ils semblent sciemment entretenus sous ce gouvernement, notamment sous l'impulsion d'un Président de la République ayant visiblement de grandes réticences à l'égard du Quai d'Orsay...

les syndicats du MAE ont toujours critiqué vertement l'attitude de la haute hiérarchie du Quai lors des négociations budgétaires avec Bercy : soit pour critiquer son côté "bon élève mal payé en retour", puisque le Quai s'est toujours montré relativement exemplaire et zélé dans les restitutions de poste exigées en régime RGPP sans que Bercy ne desserre les contraintes... Par ailleurs, une deuxième critique, celle d'un manque de zèle défensif lors des conférences budgétaires, provenant là aussi des syndicats, est celle d'une administration qui parfois ne défend pas suffisamment ses crédits. Dominique de Villepin avait ainsi été accusé en son temps, de n'avoir pas suffisamment défendu son ministère face à Bercy(une des raisons ayant conduit à la grève historique des personnels diplomatiques en 2003).



Dans les deux cas il peut donc y avoir un problème de "stratégie de négociation interne" au niveau interministériel...Etrange pour des diplomates professionnels de la négociation. Moins surprenant quand on sait que les directions administratives et financières au Quai d'Orsay ne sont ni les plus recherchées, ni les plus puissantes, les diplomates préferant de manière notoire s'orienter vers des directions dites "politiques". Cela n'en facilite pas le dialogue critique et technique avec Bercy, généralement bien mieux armé en compétences et en troupes d'élites pour dominer les conférences budgétaires et autres négociations "au couteau" sur les coupes budgétaires. Ces relations plutôt difficiles entre "administrations rivales" sur le plan du prestige, sont donc des relations dangereuses quand elles conduisent à passer à l'essoreuse un Quai d'orsay qui peine à assurer désormais certaines fonctions régaliennes aussi importantes par exemple que l'appui consulaire aux ressortissants français à l'étranger

Une troisième remarque est relative à l'organisation de l'Etat cette fois ci, et explique la perte d'influence relative du MAE sur l'action diplomatique française :
il y a une montée en puissance d'institutions diplomatiques rivales du Quai, puisque les services des affaires internationales de chaque ministère ont eu tendance à se renforcer ces dernières années. Par ailleurs, une grande partie des fonctions diplomatiques sont assurées en direct depuis l'Elysée désormais, à la fois par le conseiller diplomatique du Président mais également par le secrétaire général de l'Elysée et leurs collaborateurs respectifs (cet aspect a d'ailleurs été parfaitement analysé par Jean Christophe Ruffin, dans une tribune récente vers laquelle je renvois).

Ainsi, certains diplomates critiquent en interne le rôle de "maitre d'hotel" qui leur serait désormais assigné, étant cantonnés, lors des sommets internationaux ou des rencontres bilatérales, à assurer "le gite et le couvert" pour les personnalités politiques de passage, la fonction d'informateurs et d'analystes des situations internationales des Ambassades étant peu à peu marginalisée...

Amitiés

Boris

Ci joint la tribune parue dans le journal Le Monde et écrite par trois anciens secrétaires généraux du Quai d'Orsay


Le Quai, outil vital d'une diplomatie efficace

La Conférence des ambassadeurs constitue, depuis dix-sept ans, un moment de discussion privilégié sur les enjeux de notre diplomatie. Cette année, le débat ne devrait pas seulement porter sur l'action diplomatique et politique de la France à la veille de la présidence du G20, mais aussi sur l'outil pour la mettre en oeuvre, qui s'amenuise d'année en année, jusqu'à parvenir à un point critique.

Les données ont été énoncées à plusieurs reprises ces derniers mois. Le ministère des affaires étrangères (MAE) est une structure fort peu coûteuse. Il représente, bon an mal an, autour de 1 % du budget de l'Etat. Soit à peu près le même coût que le ministère des anciens combattants. Ses 140 centres culturels à travers le monde, si importants pour notre diplomatie culturelle, fonctionnent grâce à une dotation comparable à celle du seul Opéra de Paris !

Nous ne méconnaissons évidemment pas les contraintes budgétaires auxquelles l'Etat doit faire face, mais gardons un sens des proportions : le budget du ministère représente moins de 0,2 % du PIB... Même si on le supprimait complètement, cela n'aurait quasiment aucun impact sur le déficit ! Conclusion évidente : pour qui veut revenir à l'équilibre budgétaire, le MAE n'est pas sérieusement un sujet.

Le ministère n'a pas attendu que les contraintes budgétaires deviennent aiguës pour se réformer en profondeur et faire des économies là où cela était possible. En tant qu'anciens secrétaires généraux, nous avons impulsé et piloté les réformes successives de cette administration. En vingt ans, ce ministère a fusionné avec le ministère de la coopération, trouvé de nouveaux financements, réorganisé en profondeur ses services en France, fait évoluer sa présence dans le monde en fonction des nouveaux enjeux, et restructuré son réseau d'ambassades, de consulats et de centres culturels à l'étranger. Le tout en diminuant ses effectifs de plus de 20 %. Quelle administration, quelle autre organisation peut en dire autant ?

Et pourtant, la révision générale des politiques publiques a imposé de nouvelles baisses de crédits et d'effectifs - quels que soient les artifices comptables utilisés pour en minorer l'apparence - sans considérer que les réformes déjà mises en oeuvre avaient amené notre outil diplomatique à la limite de ce que l'on pouvait faire sans remettre en cause son fonctionnement.

Pourquoi un tel aveuglement ? Le MAE a toujours été une cible facile. Il souffre de préjugés et de clichés - la tasse de thé et les chocolats de l'ambassadeur... - que l'on se plaît à véhiculer dans des milieux pourtant avertis et dans certains médias, alors même que le métier, au fil des décennies, s'est enrichi de responsabilités économiques et financières, culturelles et scientifiques, dans les secteurs de la communication et de la protection des personnes.

Nulle clientèle électorale, nul groupe de pression parlementaire pour corriger la caricature que des personnels traditionnellement loyaux, dévoués et très compétents supportent avec philosophie, quand elle ne sert pas de prétexte à amputer leurs moyens d'action.

Pire, une partie de l'opinion et peut-être de nos dirigeants, croyant notre pays déjà sorti de l'Histoire ou pensant que nous sommes désormais trop petits pour avoir quelque chose à défendre dans le monde, remet en cause la nécessité même d'avoir une diplomatie active. Alors, rappelons quelques faits : le monde global est un monde instable et concurrentiel dans lequel tout se négocie en permanence. Toutes les situations acquises, aussi anciennes soient-elles - notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple - peuvent, si nous n'y prenons garde, être remises en cause.

Le domaine culturel devient de plus en plus un espace de compétition, sinon de bataille pour la diffusion des contenus. Dans ce cadre mouvant, le travail des diplomates vise à préserver au mieux nos intérêts politiques, économiques et culturels. Sans cela, nous risquons de perdre peu à peu nos positions, notre mode de vie, notre prospérité, nos valeurs, nos emplois. Qui pourrait affirmer qu'il serait préférable, pour quelques économies de bouts de chandelle supplémentaires, de se laisser porter par le hasard et le chaos plutôt que de tenter d'anticiper et de contrebalancer certaines évolutions ?

Contrairement à ce que l'on entend parfois, la diplomatie européenne naissante ne peut être un prétexte pour nous décharger de ces responsabilités. Le service diplomatique en formation sera un complément des diplomaties nationales, non un substitut. L'Union européenne est moins à même qu'il y a vingt ans de parler d'une seule voix. Le conflit du Moyen-Orient, la guerre en Irak, l'opération en Afghanistan, les crises africaines l'ont démontré et le démontrent jour après jour. Une politique extérieure commune est une ambition nécessaire mais, on peut le déplorer, encore lointaine. Et, en attendant, le meilleur moyen d'y contribuer est de permettre à Bruxelles de s'appuyer sur des outils nationaux structurés et actifs.

Avoir un ministère des affaires étrangères fort est donc aujourd'hui indispensable. Les deux anciens ministres qui se sont exprimés avaient chacun déjà, de leur côté, tenté de sensibiliser l'opinion à ce fait. Le Livre blanc sur la politique étrangère de la France, dirigé par Alain Juppé, pointait ainsi le paradoxe d'avoir "d'un côté, un monde fragmenté et dangereux, particulièrement exigeant pour notre action extérieure, et de l'autre, un ministère des affaires étrangères dont les moyens n'ont cessé de se réduire".

Le rapport remis par Hubert Védrine au président de la République sur la France dans la mondialisation soulignait pour sa part que "La France a besoin d'un grand ministère des affaires mondiales. Il existe : c'est le ministère des affaires étrangères. S'il faut y faire une énième réforme, ce doit être pour le renforcer". Exprimons le voeu que la Conférence des ambassadeurs soit le lieu de prolonger ce débat.

François Scheer, Bertrand Dufourcq et Loïc Hennekinne, ambassadeurs de France, anciens secrétaires généraux du Quai d'Orsay, de 1988 à 2002


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