jeudi 9 décembre 2010

Mélenchon, ce populiste qui nous est cher


Chers amis et camarades,


La sympathie que l’on peut ressentir pour Jean Luc Mélenchon, pour son positionnement politique et sa verve tribunicienne, ne doivent pas nous faire oublier que les 7 ou 8% dont le candidat Mélenchon est aujourd’hui crédité pourraient nous faire défaut lors de la présidentielle de 2012 et donc conduire à un deuxième tour sans candidat de gauche si la configuration de 2002 devaient se reproduire (Programme socialiste déliquescent, division de la gauche en de nombreuses candidatures, présence d’une extrême droite requinquée)

Bien sur, cette hypothèse politique ne doit pas nous conduire, à mon sens, à notre tour, à tomber à bras raccourci sur le Front de gauche, comme à vouloir rendre coup pour coup, même si le Front de gauche veut aujourd’hui clairement siphonner les voix du PS (il n’est qu’à aller sur les forums où s’expriment les militants FdG pour s’en persuader, nous sommes le nouvel ennemi de classe)…Inutile cependant de tendre l’autre joue également…

1/ D’abord le front de Gauche n’est pas l’ennemi, ni l’adversaire mais un partenaire naturel de travail et de lutte. Nous devons bel et bien essayer de trouver des revendications communes, et le Parti devrait s’’inspirer du langage direct, de la multiplication des réunions publiques de terrain, de la proximité politique de JL Mélenchon avec les classes populaires. Assumons donc notre proximité d’idées socialistes avec le FdG…

2/ En restant réaliste cependant, je crains fort que le front de gauche, à l’image du Mouvement des citoyens de Chevènement, ne soit en grande partie que le parti d’un seul homme, et que son avenir soit donc très conditionné à l’évolution personnelle de ce dernier. Ainsi, si JL Mélenchon devait accepter de siéger un jour dans un gouvernement socialiste, nul doute qu’une grande partie de ses fidèles refuseraient cette entrée (ou plutôt ce retour) dans le « Système »politique pourtant dénoncé avec force, et que le Front perdrait largement audience et électeurs. Rester à l’écart du système condamne aussi à toujours plus de radicalité au risque d’un destin à la NPA, érodé par ses incantations révolutionnaires sous forme d’un grand soir qui n’advient pas.

3/ Il nous faut aussi défendre la boutique : les socialistes ne me semblent pas, selon la critique mélenchonienne classique (c’est aussi celle de la Droite ne nous le cachons pas), « en manque de leaders et en manque d’idées » :
La convention de ce samedi prouve justement que c’est plutôt l’excès d’idées, et leur non priorisation, qui peut nous être reproché. L’aspect « catalogue » souvent évoqué pour qualifier nos projets (pas seulement celui sur l’égalité réelle), me semble le propre d’un parti qui se creuse la tête, fait de sa diversité de courants une diversité de propositions, propose et tente de construire mais manque de colonne vertébrale idéologique pour cimenter le tout : nous avons donc les matériaux pour construire la maison, mais les fondations ne sont pas solides, ou la charpente à du jeu…

Il faut dire que la bourrasque financière vient de durablement ébranler l’édifice tout entier : La crise a abouti à ce que Slavoj Zizek appelle la « Farce » après la tragédie : soit le renforcement des pouvoirs conservateurs en place et le renversement idéologique porté par la Droite d’une crise dont les Etats seraient à l’origine (on s’étrangle au passage…)

La critique des médias et en particulier de la télévision, portée par Jean Luc Mélenchon me semble en grande partie valide, bien que pas nouvelle : Bourdieu dans un de ses derniers ouvrages sur le pouvoir télévisuel, avait pu démontrer clairement les limites d’un système médiatique où la fonction critique est réduite, les informations non hiérarchisées, la culture de décodage de l’image des spectateurs absente…Le temps d’exposition télévisuel est par ailleurs une grande constante dans les pratiques culturelles des français, qui ne varient que peu sur le long terme…Passer 4 heures par jour en moyenne devant le robinet à image ne rend pas forcément plus éclairé…Quant à la vieille connivence entre journalistes et classe politique…elle semble aussi une constante indiscutable…
Les médias et les journalistes politiques ont une responsabilité importante dans l’excès de personnalisation du débat politique, sa mise en spectacle induite en conséquence :

Ils participent largement de la « présidentialisation des esprits et du jeu politique» dont Jean Luc Mélenchon est d’ailleurs lui aussi également responsable, puisque c’est cette formidable tribune offerte par la présidentielle à toutes les personnalités fortes qu’il occupe en ce moment avec une belle vigueur.
Cette présidentialisation est nuisible à la construction d’un programme d’idées qui prend du temps, et qui oblige, dès lors qu’on ne veut pas faire comme Moscovici et les droitiers du parti, c’est-à-dire rendre une copie technocratique écrite à trois ou quatre autour d’une table, ou rendre une copie certes brillante mais trop personnelle comme Arnaud Montebourg, à continuer à plancher en collectif avec l’aspect laborieux que cela induit…

Amitiés socialistes

Boris Compagnon


PS : Je vous transmets cette chronique de l’édition électronique du journal « Le Monde » du 8/12/10

Analyse
Le "mélenchonisme" et le bon usage du populisme


"Je suis le bruit et la fureur." Reprenant William Faulkner, Jean-Luc Mélenchon ne cache pas qu'il veut déranger. Depuis deux mois, le président du Parti de gauche (PG) attaque au lance-flammes le Parti socialiste, développe un discours radicalement antisystème et multiplie les piques contre les médias. Ses anciens camarades le taxent de populisme, l'assimilent même à l'extrême droite. Et pourtant ce nouveau ton, faisant vibrer les souvenirs de la fierté de la classe ouvrière et de ses luttes, attaquant l'"oligarchie" et ses "laquais", porté dans cette posture de tribun façon IIIe République, ça marche. Le "mélenchonisme" a trouvé son public.
Porté par son envie présidentielle, le député européen est parti en campagne. Un jour contre les "patrons hors de prix", le suivant à l'assaut de la "caste médiatico-politique", fulminant encore contre les socialistes "politiquement stériles"... c'est un vrai festival. On l'a vu partout sur les plateaux de télévision, entendu à presque tout ce que le PAF (paysage audiovisuel français) compte d'émissions importantes et aperçu dans tous les défilés contre la réforme des retraites. Il frappe, il cogne et tape souvent juste. Tout en répétant : "Populiste ? J'assume." "Mélenchon" est presque devenu une marque.
Ce profil dérangeant commence à payer. Dans le dernier sondage TNS-Sofres pour Le Nouvel Observateur du 25 novembre, il obtient entre 6 % et 7 %, selon le candidat socialiste en lice. Pour Paris Match, IFOP le donne entre 6 % et 7,5 %. Soit un score égal ou supérieur à celui d'Olivier Besancenot. La campagne n'a pas encore démarré, le candidat du Front de gauche - l'alliance entre le Parti communiste, le Parti de gauche et la Gauche unitaire - n'a même pas été désigné. Mais on sent poindre un réel engouement à la gauche de la gauche.
Le député attire un public nouveau dans ses meetings. Le blog qu'il anime est l'un des plus visités dans la blogosphère radicale. Son livre, Qu'ils s'en aillent tous ! (Flammarion, 142 p., 10 euros), est devenu un best-seller politique. Et son passage à l'émission "Vivement dimanche" a attiré 3,7 millions de téléspectateurs, frôlant l'audience d'une Ségolène Royal. "C'est les petits miracles de la vie", se félicite l'ancien socialiste, qui préfère les "dialogues fracassants" parce que "le consensus c'est la mort".
Après le mouvement sur les retraites, la séquence politique semble propice aux discours radicaux assumés. Le PS prend son temps pour affiner son programme et se querelle sur ses primaires. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), en perte de vitesse depuis un an, n'est plus le seul sur les créneaux de la gauche radicale. Et le PCF tente de donner le change avec André Chassaigne, mais il ne convainc pas.
"Le discours tranchant et singulier de Mélenchon sort des codes et sa voix dissonante est clairement identifiée", remarque Jérôme Fourquet, directeur de l'IFOP. "Son écho est lié au creux du PS, sans leadership fort ni projet crédible", renchérit Stéphane Rozes, président de Conseil analyses et perspective. M. Mélenchon profite du vide à gauche et séduit à la fois les militants en quête d'une alternative au PS et ceux qui veulent le réveiller, le jugeant trop mou.
Et puis, son refrain antimédias rencontre un écho certain. On savait que chez les militants la méfiance vis-à-vis de la presse écrite et audiovisuelle était prégnante. Depuis le référendum de mai 2005, sur le projet de traité constitutionnel européen, où la majorité des médias ont suivi, voire relayé le discours favorable au oui, la défiance est palpable. Avec la crise, elle s'est élargie à des franges moins politisées. "Sa critique des médias est bien fichue. Les attaques contre son populisme ont donné une image d'une corporation qui ne sait pas se remettre en cause", souligne Vincent Tiberj, chercheur au Centre d'études européennes de Sciences Po. M. Mélenchon avait prévenu dès la Fête de L'Humanité, à la mi-septembre : "Ça va secouer !" Il voulait élargir son public. Atteindre les abstentionnistes et ne pas laisser les couches populaires, revenues de tout, au Front national. Mais le président du PG joue gros.
A force d'accentuer les divisions à gauche, de taper comme un sourd sur ses anciens camarades, il s'est attiré des critiques parmi ses alliés. "On ne peut mener une campagne sur le populisme", a prévenu Pierre Laurent, numéro un du PCF. M. Mélenchon risque de brouiller son image alors que l'aspiration à battre la droite est très forte dans l'électorat de gauche. Pour durer, il va falloir sortir d'un positionnement tourné contre le PS, parler à toute la gauche. Et convaincre que, avec lui, le Front de gauche a des solutions.
L'aspirant candidat semble l'avoir entendu. En marge du congrès de son parti le 19 novembre, il a remisé son slogan "Qu'ils s'en aillent tous !", préférant un "je ne suis pas avec le peuple, je suis du peuple". Sa cible au PS s'est recentrée sur le seul Dominique Strauss-Kahn, "bête noire" de la gauche radicale. Mais il prévient : "La violence des réactions me prouve que j'ai tapé juste. Ma manière d'être n'a pas fini de vous dérouter." Pour l'instant, ça marche. Mais il ne devrait pas oublier que le roman de Faulkner se termine mal.
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