vendredi 24 juillet 2009

Projet de loi action extérieure de l'Etat


UN PROJET DE LOI AMBIGUË ET POTENTIELLEMENT PIEGE SUR L ACTION EXTERIEURE DE L ETAT

Le projet de loi sur l’action extérieure de l’Etat vient d’être déposé sur le bureau du Sénat et sera vraisemblablement examiné en commission parlementaire en septembre.

Ce projet de texte, que vous pourrez trouver à l’adresse ci-jointe, http://intranet.senat.fr/leg/pjl08-582.html pourrait avoir potentiellement de fortes conséquences pour la définition et l’application de la politique de coopération culturelle, scientifique et technique à l’étranger grâce notamment à la création de deux opérateurs chargés de la mise en œuvre de cette coopération, un appelé à agir pour « la mobilité internationale », l’autre pour l’action culturelle extérieure.

A ce stade, difficile d’avoir une vue claire de l’ensemble des conséquences de cette loi, encore à l’état de projet, et qui sera discuté et certainement amendé par les parlementaires qui auront l’occasion d’en préciser et modifier le contenu.

On peut cependant dès maintenant soulever un certain nombre d’interrogations pour mieux analyser les conséquences possibles de ce texte pour le dispositif de coopération tel qu’on le connaît aujourd’hui et pour le devenir des agents exerçant dans ce réseau.

Ces interrogations portent sur la définition de la notion de coopération, sur l’oubli de la coopération linguistique dans le nouveau dispositif législatif en préparation, sur les ambigüités statutaires du régime d’emploi des agents, ainsi que sur l’autonomie réelle de gestion confiée aux opérateurs

L’EXPERTISE INTERNATIONALE, COOPERATION MODERNISEE OU COOPERATION PRIVATISEE ?

Un des éléments importants de ce projet sur l’action extérieure de l’Etat est d’élargir le champ d’application de la coopération : Il ne concernera plus seulement les relations entretenues par l’Etat français avec les Etats étrangers mais portera également sur les actions mises en œuvre auprès « d’autres personnes publiques ou privées que les Etats étrangers »(titre 2). La coopération ne relèvera plus uniquement des services centraux du ministère des affaires étrangères puisque sa mise en œuvre s’appuiera sur des opérateurs extérieurs publics, le ministère se réservant la définition des objectifs stratégiques de notre politique internationale.

Commentaire sur la redéfinition de la notion de coopération

Cette redéfinition de la notion de coopération est donc sujette à commentaires : Il s’agit effectivement d’une tentative de modernisation du champ d’application de la coopération, qu’elle soit culturelle, scientifique ou technique, en permettant par exemple, selon l’article 8, à l’Etat français de mettre en œuvre, via les opérateurs, une coopération rénovée avec des organisations internationales ou des instituts de recherche étranger et plus uniquement avec des Etats.


Un objectif commercial pour l’expertise internationale française ?

Cependant, il faudra veiller à ce que le champ de la coopération n’entre pas sur la pente glissante d’une coopération aux objectifs uniquement commerciaux : Les deux opérateurs publics français pourraient placer leurs experts auprès d’entreprises ou d’industries privées étrangères, facturer ces services d’expertises dans des domaines ne relevant pas nécessairement de l’intérêt public, tout en restant subventionnés et aidés par l’Etat français. Le terme extensif et ambigu « d’expertise internationale » qui remplacera la définition plus stricte de la coopération française donnée par la loi de 1972 (Aide au développement, rayonnement culturel et scientifique…) permettra bien des contorsionnistes d’application : En grossissant le trait, pourrait on voir un expert français se pencher au chevet de General Motors pour apporter les lumières de l’expertise française en matière de politique industrielle automobile, avec les subventions du contribuable français ? Facturer une prestation d’expertise technique à une entreprise étrangère à des fins commerciales est il réellement ce qu’on attend d’une politique de coopération internationale ?

Dès lors, ne risque t on pas de voir un éclatement et une dispersion de nos missions d’expertises, dont le cœur de cible devrait rester la mise en œuvre d’une coopération universitaire, scientifique, linguistique et culturelle, alors que l’objectif commercial demeure pour juger de l’efficacité de cette expertise ?

Le fait de concevoir la modernisation comme une privatisation de pans entiers de l’action de l’Etat n’est il pas en soit un choix doctrinal ?

Je crois que sur ce terrain là, le débat parlementaire devrait éclairer grandement ce qu’on doit attendre d’une politique de coopération rénovée qui ne soit pas sacrifiée à l’impératif unique de rentabilité.

LE NON DIT AUTOUR DE LA COOPERATION LINGUISTIQUE :

Le champ de la coopération linguistique n’est pas abordé dans ce projet de loi sur l’action extérieure. Or, les missions des services de coopération culturelle ou des instituts et alliances du réseau culturel aujourd’hui, donnent une place majeure à la diffusion de la langue, pièce maitresse de la définition de la culture française.

Qui pilotera demain l’action linguistique française à l’étranger ?

L’association « CultureFrance », qui servira de pivot au futur opérateur sur l’action culturelle extérieure de la France, est aujourd’hui un opérateur d’évènements culturels (via les saisons françaises à l’étranger), une machine habile à sélectionner et faire connaître l’offre culturelle de spectacles exportables à l’étranger, et un réservoir de talents en matière d’ingénierie culturelle pour le conseil d’institutions culturelles étrangères. Mais Culture France ne possède pas d’expertise particulière en matière d’organisation de la coopération linguistique de la France à l’étranger, celle-ci relevant soit de l’Alliance française de Paris, soit des services de coopération pour le français du ministère des affaires étrangères ou des services du ministère de l’éducation nationale et d’institutions en dépendant comme le CIEP .

Comment imaginer qu’un projet de loi sur l’action extérieure de l’Etat pourrait faire l’impasse sur la mise en œuvre sur l’expertise française en matière de coopération linguistique ? Ne faudrait il pas, pour garantir la gestion d’une coopération linguistique modernisée et efficace, faire rentrer le ministère de l’éducation nationale dans la tutelle de la future agence culturelle, faciliter également le développement de liens fonctionnels avec l’Alliance française de Paris en matière linguistique, développer des passerelles entre l’AEFE et la future agence, en posant ainsi les bases d’une modernisation possible de notre coopération linguistique ?

Quand les instituts français développent une coopération linguistique constituant plus de 50% de leur activité (et de leurs ressources par facturation des cours de langue), on voit mal pourquoi la future agence culturelle devrait ignorer ce champ de coopération, sauf à donner le signal d’une délégation ou d’une privatisation de la coopération linguistique. Privatiser cette activité serait dès lors se priver d’un poumon financier potentiel pour rendre viable la gestion de l’opérateur privé qui aurait la charge de son pilotage.

Le projet de loi sur l’action extérieure de l’Etat est donc très opaque sur ce point. C’est peut être d’ailleurs un silence en forme d’aveux :

Un nouveau Yalta linguistique et culturel serait il en préparation ?

La coopération linguistique sera elle confiée uniquement aux Alliances ? Est-ce que ce transfert de compétences linguistiques s’accompagnera de transferts de subventions publiques en conséquence ? N’y a-t-il pas le risque d’aboutir à une coopération linguistique et culturelle à deux vitesses si les transferts de fonds publics de se font pas vers les Alliances ? L’AEFE qui s’occupe de coopération linguistique devra elle rester spectatrice de ces grandes manœuvres alors qu’il y aurait tant à gagner à développer des synergies communes ?

Créer une fracture entre activités culturelles et activités linguistiques serait porter un coup fatal au dispositif culturel français à l’étranger tel qu’il est conçu depuis toujours c'est-à-dire comme une liaison féconde entre Langue et Culture.

LES AMBIGUITES STATUTAIRES POUR LES FUTURS EXPERTS INTERNATIONAUX /

Le projet de loi sur l’action extérieure de l’Etat est assez loquace sur les questions de gestion du personnel. Ne doutons pas que les rédacteurs de ce texte aient voulu ménager la susceptibilité des agents en poste à l’heure actuelle dans le réseau de coopération et qui attendent avec inquiétude et souvent avec scepticisme les changements institutionnels de notre dispositif de coopération.

Primes d’expatriation et exonérations fiscales maintenues :

Le régime d’expatriation (primes à l’expatriation exonérées d’impôt sur le revenu) semble à cet égard maintenu. La durée des séjours semble devoir passer de 4 ans à l’heure actuelle à 6 dans le nouveau dispositif. C’est une demande portée par un grand nombre de décideurs qui souhaitent inscrire dans la durée l’action des coopérants en poste à l’étranger.

Le supplément familial pour les conjoints serait également maintenu sous une forme légèrement retouchée.

Incertitude majeure sur les compléments familiaux pour les enfants d’expatriés

En revanche, on ne sait rien du devenir du supplément familial pour les enfants d’expatriés, qui à l’heure actuelle se justifie notamment par les frais d’écolage pour la scolarisation des enfants français dans le réseau de l’AEFE. La mise en œuvre de la gratuité dans les lycées français, bien qu’imparfaite et incomplète, est elle la justification de l’abandon apparent de ce supplément familial ? Peut-on réduire la justification du supplément familial pour les enfants aux seuls frais de scolarité ? En France, rappelons que les suppléments familiaux ne sont pas conditionnés aux frais de scolarité, théoriquement gratuits. Il y a là clairement un risque évident de restriction des compléments sociaux versés aux expatriés.

Un régime d’emploi ambiguë

Le régime d’emploi des futurs experts internationaux n’est pas d’une grande clarté, et la qualification d’agents publics sera donc difficile à constituer pour ces agents employés vraisemblablement sur des contrats de droit privé, mais avec certains droits relevant de la fonction publique (droit à passer les concours internes notamment).

Ce texte veut éviter toute possibilité d’intégration des agents fonctionnaires détachés comme experts internationaux auprès d’opérateurs de gestion relevant du ministère des affaires étrangères ; Il est étrange, alors que la loi sur la mobilité dans la fonction publique a rappelé le principe de l’intégration dans l’administration d’accueil au bout de cinq années de détachement, que ce texte prenne une direction opposée.

Le détachement de fonctionnaires comme experts deviendra couteux

Il est troublant de voir que la mise en œuvre du détachement pour les fonctionnaires (qu’ils soient fonctionnaires d’Etat ou des autres fonctions publiques, territoriales ou hospitalières), entrainera au bout de deux ans, la mise en œuvre d’un reversement de cotisations auprès des caisses de pension de retraite : en clair, cela voudra dire qu’un fonctionnaire détaché comme expert international pourra subir un prélèvement de la part salarié et de la part employeur des cotisations sociales qui pourrait être à la charge de l’organisme d’accueil.

En tout état de cause et quelle que soit la formule technique retenue pour gérer les détachements auprès des futurs opérateurs, la mise en œuvre du décret de décembre 2007 sur les pensions des fonctionnaires détachés pourrait conduire à renchérir fortement le cout de l’utilisation d’experts fonctionnaires, puisque le cout de la pension serait supporté par l’organisme d’accueil.

Il y a là un risque majeur d’éviction des experts fonctionnaires au bénéfice d’experts privés.

LES SUJETS QUI FACHENT SONT POUR L INSTANT MIS DE COTE

Quelles compétences de gestion pour les opérateurs pour quelle autonomie par rapport à la tutelle MAE ?

La loi ne dit pas qu’elles seront les compétences de gestion de l’opérateur culturel sur les instituts culturels. On ne sait rien non plus du devenir de la réforme actuelle du réseau culturel visant à expérimenter la fusion entre les services culturels des Ambassades et les instituts français.

On semble lire pourtant entre les lignes que les services culturels des Ambassades continueront à exister alors que jusque là il était prévu de fusionner en une seule entité Etablissements et services culturels pour simplifier notre dispositif diplomatique en le rendant plus efficace.

N’y a-t-il pas le risque d’une coopération culturelle à deux vitesses avec des personnels sous statuts diplomatiques dans les Ambassades s’occupant de gestion stratégique de la coopération culturelle, et des personnels experts sous statut privé chargés de la mise en œuvre de cette coopération sur le terrain ?

L’opérateur culturel sera il chargé de la gestion RH et de la gestion financière des moyens ?

On ne sait pas non plus, mais les débats parlementaires et les futurs décrets d’application le préciseront sans doute, si la gestion humaine des experts travaillant en instituts sera transférée au futur opérateur culturel, on ne sait rien pour l’heure de la gestion des moyens financiers constitués par les subventions de fonctionnement et d’actions culturelles et linguistiques déléguées à l’heure actuelle par les ambassades aux instituts…

Est-ce que l’opérateur culturel à Paris deviendra aussi un super opérateur de gestion, sur le modèle de l’AEFE, en recrutant et gérant les experts, et en déléguant aux instituts des subventions ? Le parc immobilier constitué par les instituts sera il lui aussi géré par cet opérateur ?

La réponse à ces questions donnera une idée de la viabilité de ces opérateurs qui sans moyens publics nouveaux, et malgré les ressources privées qu’ils pourraient lever en terme de mécénat par exemple, risqueraient vite de se retrouver dans une situation de gestion tendue.

Les Ambassadeurs garderont ils la main ?

Quel rôle garderont les Ambassadeurs et le Quai d’Orsay dans le pilotage concret des établissements culturels ? C’est un des sujets majeurs de discorde entre les agents du Quai et le ministre Kouchner ; Les Ambassadeurs craignent beaucoup les tentatives d’autonomisation du réseau culturel et verraient d’un mauvais œil la coopération culturelle et scientifique passer à des opérateurs extérieurs sur lesquels ils auraient peu de prise.

Un recrutement local jamais harmonisé ?

Les agents de recrutement local du réseau culturel perdront ils toute chance d’être géré comme agents de l’Etat, comme le sont à l’heure actuelle leurs collègues travaillant en Ambassade ? Il faut craindre que le MAE ait trouvé une solution pour ne jamais harmoniser la situation salariale des recrutés locaux de ses divers réseaux diplomatiques. Comme ce dossier fait du sur place, faute de moyens nouveaux pour payer le cout d’une harmonisation sociale par le haut, passer les agents de recrutement local du réseau culturel sous statut de gestion privé pourrait éviter d’avoir à se poser demain la question de l’harmonisation. Ce serait là un véritable échec social sur un sujet majeur pour les personnels locaux.

Beaucoup de questions piégées donc, et d’ambigüités institutionnelles que ce projet devra tôt ou tard lever…

Restons toutes et tous vigilants et mobilisés sur cette réforme de tous les dangers.

Amitiés
Boris

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