dimanche 19 septembre 2010

Ils sont tombés par terre, c'est la faute à...





Une réponse à la sénatrice Claudine Lepage, qui a fait une intervention remarquable au Sénat sur le navrant amendement voté par la majorité de droite, de suspension des allocations familiales aux familles dont les enfants pratiquent l'absentéisme scolaire.

Chère Claudine,

merci réellement pour la transmission de ton intervention au Sénat qui rappelle très pédagogiquement certaines réalités sur l'absentéisme scolaire et le décrochage, sur les stratégies d'évitement des élèves en difficulté face à l'apprentissage, sur les absents cognitifs, pourtant présents en classe, mais fermés au savoir :

Sur ce dernier point, il n'est que se rappeler le dernier plan illustratif du film "entre lesmurs" où une jeune élève vient signifier au professeur de français incarné par François Begaudeau, qu'elle n'a rien appris en classe à l'issue de l'année écoulée. A la réponse du professeur incrédule :"mais tu as bien retenu quelque chose ?" l'élève répond, avec une gène palpable, mais sans détour : "non rien". Etre présent en classe, mais rien en retirer, voilà une image cinématographique symbole d'une école qui reste pour certains un système trop codé et ne permet pas un égal accès au savoir par tous.

Je milite à titre personnel pour une rénovation de la carte des disciplines scolaires pour une simplification qui fasse davantage sens aux yeux d'élèves déroutés par le "morcellement des savoirs", en particulier lors du crucial passage du primaire au collège lors de l'arrivée en sixième où s'expriment souvent lourdement les premiers décrochages majeurs (réforme pour une bidisciplinarité des enseignants autour de 4 ou 5 poles d'enseignements distincts)

En lisant ton intervention, on mesure aussi combien la réponse répressive du gouvernemement sur les questions éducatives est profondément navrante :

Pour avoir assisté en tant que membre d'une direction de collège de Banlieue dans le Val de Marne, à plusieurs "conseils de discipline", je peux témoigner personnellement du désarroi des familles convoquées aux côtés de leurs enfants : l'équation absentéisme scolaire+ difficultés sociales dans les familles = difficultés d'apprentissage est malheureusement souvent la première étape du tristement fameux "décrochage scolaire" qui met des adolescents dans les rues, et les livre donc très jeune à l'échec d'une sortie de l'école sans diplome, et plus grave, sans apprentissage, sans clés de compréhension du monde et de la société, sans savoir pour s'y guider, sans compétence pour s'y insérer.

Il est évident que la "pénalisation des familles" par l'Etat ne sera qu'une stigmatisation sociale supplémentaire qui ne pourra que renforcer le sentiment des adolescents en décrochage de ne plus croire aux capacités de l'institution scolaire, de se défier d'une école pourtant là pour les aider à renouer avec un cursus scolaire apaisé.

"ils sont tombés par terre, ce n'était pas la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, pas même la faute à Rousseau" mais la faute aux inconséquences répressives en matière éducative, véritables "crimes contre la jeunesse" !

Amitiés associatives

Boris




Mme Claudine Lepage : M. Le ministre, les professionnels de l’éducation s’accordent à dire que l’élément déterminant dans la lutte contre l’absentéisme scolaire réside dans la relation avec le professeur. Logique empathique, tutorat, travail en réseau, suivi individuel…voilà ce qui fonctionne pour faire renouer un élève avec l’assiduité scolaire. Et non la stigmatisation et la culpabilisation par l’argent. Jamais vous ne restaurerez l’autorité de parents dépassés ou désemparés, par le biais de la suspension – suppression des allocations familiales. L’autorité parentale ne se monnaie pas. Ni le goût de l’école d’ailleurs ! Vous avez déjà dû faire marche arrière avec la fameuse cagnotte. Après la carotte, vous utilisez maintenant le bâton… qui est tout aussi inefficace ! Nous sommes totalement opposés à cette instrumentalisation de l’argent comme moteur d’une pseudo responsabilisation.
Votre dispositif répressif, qui ne vise que la seule présence en classe, ignore totalement ce qu’on appelle les « absents cognitifs ». La présence physique ne fait pas la présence aux apprentissages. Il ignore tout autant les stratégies d’évitement mises en œuvre par les élèves en souffrance à l’école : être présent physiquement dans l’établissement mais aller le plus souvent possible à l’infirmerie quand on a évidemment la chance de bénéficier de la présence d’une infirmière dans l’établissement. Or ces comportements appellent des interrogations essentielles pour qui veut vraiment lutter contre l’échec scolaire ? Comment redonner envie d’apprendre à des élèves qui ne comprennent pas le sens des apprentissages, le sens de ce qui leur est demandé en classe ? Pour lesquels la relation à la culture scolaire voire à la communauté scolaire même est problématique ?

Avec ces questions nous touchons au cœur de la problématique de l’absentéisme scolaire. Nous ne le réduirons pas si nous n’apportons pas un panel de réponses pragmatiques et diversifiées, centrées sur l’acte pédagogique et sur le suivi par la communauté éducative au sens large, des élèves qui ont le désamour de l’école. L’ennui à l’école, l’impression de ne pas pouvoir y trouver sa place, voilà le point de départ de l’absentéisme scolaire, auquel peut s’ajouter des difficultés familiales de tous ordres.

Vous allez nous répondre, Monsieur le Ministre, par votre nouveauté de la rentrée et une énième annonce : le « programme CLAIR ». Il s’inscrit dans la continuité des états généraux de la sécurité à l’école et a été présenté comme un outil de lutte contre la violence scolaire. Faut-il donc rappeler qu’il s’adresse aux élèves perturbateurs, et non pas aux décrocheurs ? Là encore vous êtes dans la stigmatisation.

Tout comme les internats de réussite, ou la nouvelle organisation des rythmes scolaires, ce programme ne s’adressera qu’à une infime portion d’élèves. Une politique d’expérimentations sur des publics ciblés et très limités ne fait pas une politique éducative d’égalité des chances. Elle accentue même les inégalités car c’est sur les moyens destinés à la masse des établissements extérieurs à toute expérimentation que sont pris ceux destinés aux « happy few ». Sans parler de l’assouplissement de la carte scolaire qui aboutit à la ghettoïsation des établissements les plus fragiles…

Quant à la prévention de l’échec scolaire, vous nous répondrez « plan de prévention de l’illettrisme ». M. Le Ministre, le meilleur plan de prévention de l’illettrisme, et surtout le plus efficace, c’est la préscolarisation à l’école maternelle, tout particulièrement pour les enfants les plus éloignés de la culture scolaire.

L’étendue et la diversité du vocabulaire d’un enfant sont la condition sine qua non d’une bonne entrée dans la lecture. L’école maternelle joue un rôle fondamental dans l’acquisition et la maîtrise de ce vocabulaire.

C’est là que doit se réduire l’écart entre des enfants qui entrent en maternelle avec un nombre de mots acquis déjà important, une maîtrise de la langue orale déjà conséquente et les autres. Après, c’est déjà trop tard.

M. le Ministre, vous faites fausse route. L’objectif de notre école républicaine doit être la réussite de tous. Un objectif de justice sociale, d’émancipation et de promotion collective, qui ne peut être atteint que par une politique éducative de réduction des inégalités ambitieuse. C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous demandons la suppression de l'article 2 de cette proposition de loi.

--CLAUDINE LEPAGE

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