dimanche 19 septembre 2010

Vichy hier, la République aujourd'hui - sur la qualification politique des dérives du gouvernement





A la suite de la publication de mon message sur les "forces et limites de l'indignation", un camarade de Washington, René, a indiqué que la responsabilité du gouvernement aujourd'hui dans l'évacuation des Roms, et plus importante que celle de Vichy dans la déportation des juifs, Vichy n'ayant pas eu de réelle indépendance souveraine face au diktat Allemand.

Ma réponse pose les limites des comparaisons historiques, et rappelle, que si la République aujourd'hui souffre des incartades du gouvernement, de son populisme, il ne saurait être question de qualifier de fasciste, ou de Vichyste, la politique gouvernementale actuelle, même si cette dernière fait reculer l'état de droit et les libertés publiques.


Cher René, Chers tous,

merci pour ta réaction et précision sur Vichy et la rafle du Vel d'Hiv.

Là encore l'encre historique n'est pas encore sec sur cette question. Le débat est encore souhaitable et possible, et je partage le rappel que tu exprimes, d'un Etat Vichyste ayant agi sous contrainte, mettant en oeuvre par volonté d'indépendance un antisémitisme d'exclusion, même si je crois que je mettrai des responsabilités beaucoup plus accablantes que tu ne le fais sur les épaules des responsables de l'Etat français, et notamment par exemple sur un Pierre Laval capable de distinguer entre les juifs français et les juifs étrangers, pour se "débarasser" clairement de ces derniers :

"Vichy par lacheté et par intérêt s'est rendu complice des Nazis, mais la volonté de tuer n'était pas présente à Vichy. Cela ne veut pas dire qu'il faut exonérer Vichy. Un quart des juifs doivent leur perte au régime de Vichy, et trois quart doivent leur vie à la population française" c''est la conclusion d'une conférence donnée par Serge Klarsfeld le 17 février 2010 à Varsovie.

Klarsfeld a pu préciser que les français se sont réveillés de leur léthargie au moment où l'on a touché aux femmes et aux enfants. Les protestations, les résistances de la population pour empécher les rafles se sont multipliées, ce qui a été déterminant car l'Etat vichyste a senti l'opinion publique vent debout contre les déportations et a du changer d'attitude.

J'en viens maintenant au parallèle avec la situation d'aujourd'hui : j'ai eu beaucoup d'échanges avec des camarades sur la question de la qualification de la politique actuelle du gouvernement, et plus largement, sur l'état de la République aujourd'hui en France :

Au risque de me répéter auprès des camarades qui m'ont déja entendu sur cette question, j'indique qu'il n'y a pas d'analogie possible avec le fascisme d'Etat pratiqué en Italie, avec la politique de l'Etat de Vichy agissant sous contrainte allemande et victime de "l'idéologie française" décrite en son temps par bernard Henri Lévy, et donc que la politique française actuelle ne saurait être qualifiée de fasciste, ce qui n'est à mon sens qu'un excès langagier, qu'elle n'a pas réellement de soubassement idéologique fort, et qu'elle est avant tout le signe d'un pouvoir aux accents populiste, qui par opportunisme électoral s'en prend aux "étrangers" en agitant le foulard rouge sécuritaire et qui n'hésite pas non plus, par absence de culture juridique, à faire reculer l'état de droit en piétinant certaines les libertés publiques :

Oui l'Etat de droit a subi de nombreux accrocs ces dernières années, et les libertés publiques me semblent en recul : liberté de la presse, avec une indépendance des journalistes qui subit les lois économiques de groupe de presse aux mains des puissants, liberté d'expression qui chancèle, quand on voit des citoyens inquiétés pour leurs propos quand ils sont relatifs au gouvernement et au président de la République, liberté d'aller et venir, qui est aujourd'hui au coeur de l'affaire des Roms ou les gens du voyage pris pour cible dans leur mode de vie nomade. Les gardes à vue se multiplient, la police est soumise à la loi du chiffre et de la rentabilité, la RGPP, révision des politiques publiques en forme de réduction générale de l'Etat, affaiblit bien des politiques sociales, éducatives et culturelles, sur le mode d'un Etat démissionnaire, un Etat qui n'assure plus que difficilement sa mission élémentaire de protection des plus faibles, de recherche de plus d'égalité pour tous, d'éducation à la citoyenneté.

La justice a été affaiblie également, et son indépendance n'est plus que très relative, tant les pouvoirs des magistrats du parquet ont été augmentés, tant les juges d'instruction ont été privés de la plupart de leurs compétences.

Le parlement est également plus que jamais victime du parlementarisme majoritaire et aux ordres, qui donne à la majorité en place le pouvoir de passer en force sur la plupart des textes de lois.

Tout ces éléments font que nous avons aujourd'hui, surement, une République française très largement affaiblie, un état de droit en recul, une France peu à peu marginalisée à l'échelon international ou européen.

Cependant, qu'on ne me fasse pas croire que nous serions revenus en 1940, et qu'un péril fasciste ou nazi nous menace. Les français ont appris de leur histoire sur les bancs de l'école, ils connaissent les malheurs inouis provoqués par Vichy, ils n'oublient pas aussi les crimes de la République qui, en Algérie, dans les" colonies françaises" a également fait verser le sang et n'a donc pas, elle non plus, les mains propres. Leur vigilance historique est réelle. Il n'y aura pas de retour vers ce passé honteux en France.

Si le pays légal ne correspond plus au pays réel en 2010, il sera temps, en 2012, et par notre vote, de remettre en phase ces deux France.

Et d'ici là, la mobilisation de tous, la mobilisation des esprits, la mobilisation dans la rue aux côtés des syndicats, la vigilance citoyenne au quotidien, nous permettront de nous faire entendre très largement d'un gouvernement qui ne saurait plus longtemps rester aveugle et sourd au malaise des français qui ne se retrouvent plus dans une politique actuelle contraire à nos valeurs républicaines...

la République glorieuse des Jaurès, Gambetta et Mendès, cette République qui nous honore, nous l'avons dans le coeur, et c'est notre plus grande liberté, celle qu'on ne pourra jamais nous ravir.

Amitiés socialistes

Boris


¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨

Boris,



Globalement d’accord avec toi. Juste une petite précision toutefois : cette comparaison entre l’expulsion des Roms et les déportations en France sous l’Occupation est d’autant moins justifiée que d’une certaine façon (je dis bien « d’une certaine façon »), ce qui se passe est actuellement encore plus accablant pour nous. Car nous sommes ici en présence d’un Etat libre et souverain.

On oublie souvent de préciser que la fameuse rafle du Vel d’Hiv en 1942 a été voulue, décidée, et imposée par les Allemands à un Etat fantoche, dans un pays occupé. Les autorités de Vichy furent horrifiées quand les Allemands, sous la direction d’Heydrich, présentèrent leurs exigences. L’antisémitisme d’Etat sous Vichy était un antisémitisme d’exclusion de la communauté nationale, de discrimination, de stigmatisation. Mais en aucun cas il ne visait à déporter, et encore moins à exterminer les Juifs. Par ailleurs, le Gouvernement de Vichy refusa le port de l’étoile jaune pour les Juifs en zone libre (moins par conviction, il est vrai, que par crainte des réactions de l’opinion publique). Certes, parmi les antisémites français sous Vichy, il y avait quelques extrémistes, genre Darquier de Pellepoix ; mais la quasi totalité d’entre eux considéraient les Nazis comme des fous furieux et des malades mentaux.

Le drame du Vel d’Hiv, et de ce qui a suivi, est essentiellement lié à la politique de Collaboration, et non à l’antisémitisme d’Etat de Vichy. Les autorités vichystes, voyant qu’elles ne pouvaient pas éviter cette déportation, ont proposé de faire le travail à la place des Allemands car ils ne voulaient pas que ces derniers s’immiscent dans les affaires de police sur le territoire national. L’immense paradoxe de cette affaire, c’est que c’est la volonté d’indépendance de Vichy par rapport à l’occupant (totalement illusoire bien sûr) qui a amené à faire effectuer la rafle par la police française. C’est malheureux à dire, mais quelqu’un comme Bousquet pensait sincèrement servir son pays en agissant comme il l’a fait. D’où le drame affreux, dont d’ailleurs nous ne nous sommes toujours pas remis, 70 ans après.


René

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire