vendredi 16 octobre 2009

Qui à peur de la Turquie ?


Chers tous,

C’est l’absence d’une vision politique commune mobilisatrice qui a abouti aux atermoiements sur l’intégration de la Turquie à l’UE.

Faute d’avoir défini ensemble ce qu’est l’Europe - un marché unique dans une zone économiquement stable ? Une machine à subventionner se basant sur la solidarité entre pays ? Un rassemblement de peuples partageant un héritage culturel commun démocratique ? Une construction supranationale basée sur l’abandon de souveraineté dans certains domaines ? Une communauté de nations pacifiques ? Un ensemble de pays partageant une géographie commune ? - et donc ce qui pourrait être sa destinée, nous avons aujourd’hui bien du mal à justifier un refus ou une mise en attente de l’intégration de la Turquie qui frappe à notre porte depuis maintenant 46 ans (sa candidature officielle a été posée en 1963).

L’intégration, en deux phases, de 12 pays d’Europe centrale et orientale, a constitué une occasion historique ratée de définir une vision politique commune, et de préciser une position européenne claire vis-à-vis de tous les nouveaux entrants potentiels.

Politiquement, faire de la Turquie un cas particulier aujourd’hui, n’a pas de sens alors que les candidatures à l’entrée sont nombreuses, qu’elles soient officiellement formulées (Macédoine, Croatie, Turquie, Islande), potentielles (Albanie, Bosnie, Serbie, Montenegro), ou perceptibles à échéance (Ukraine, Géorgie).

Il faut donc un traitement global de la question de la destinée de l’Europe sur un plan stratégique et institutionnel et ce sont aux européens de trancher en précisant une bonne fois pour toute les critères d’entrée en les priorisant. Ce traitement de la destinée de l’Europe est urgente car la vision la plus claire de la destinée de l’Europe aujourd’hui est…américaine.

Pour les USA, l’UE doit être une union vaste de pays formant une zone d’endiguement à la puissance Russe. Tous les pays membres de l’OTAN ont donc vocation à intégrer cet ensemble, et le discours d’Obama à Istanbul exprimant le souhait de voir la Turquie intégrer l’UE, est donc cohérent avec cette vision politique stratégique.

Si les Européens choisissent une vision a minima de l’Europe comme marché et zone de stabilité économique, la Turquie a évidemment toute sa place en Europe. Son PIB / H, de l’ordre de 9400 Dollars (2007), est proche de celui de la Bulgarie et de la Roumanie et 3 à 4 fois supérieur à celui de la Serbie et du Monténégro. Le vaste marché turc de 76 millions d’habitants offrirait une zone de débouchés importante dans une logique de marché unique. Les marchés représentés par les pays des Balkans sont en ce sens nettement moins importants étant donnés le nombre d’habitants-consommateurs total (une petite quinzaine de millions d’habitants dont 10 pour la Serbie Monténégro).


Sur un plan institutionnel, la Turquie est à ranger dans le champ des démocraties : Si l’on considère la démocratie en tant que mode de désignation libre des gouvernants par le peuple, La Turquie est une République, elle élit ses représentants lors d’élections au suffrage universel, elle possède une constitution dont l’application est garantie par une cour constitutionnelle. Si l’on considère la démocratie maintenant comme mode de gouvernement, La Turquie est une démocratie imparfaite, où les droits de l’homme sont régulièrement bafoués, où l’armée et la police provoquent de nombreux abus, mais où une certaine forme de stabilité politique règne (alternance au pouvoir relativement pacifiée). Peut-on dire à cet égard que la situation en Turquie est pire qu’en Géorgie ou en Serbie ? Je ne suis pas certain que la Démocratie y soit franchement plus mal traitée. La Turquie est une République laïque depuis 1923, et est un laboratoire pour le multiculturalisme religieux et social du fait de la mosaïque de peuples et de religions qui la compose.

Sur le plan de la Géographie et de l’Histoire, la Turquie a une appartenance discutable à l’Europe. Sa situation continentale euro-asiatique, l’influence importante dans son histoire de l’Empire Ottoman seraient de nature à l’exclure du champ européen. Bien entendu, l’histoire de l’Empire Chrétien de Constantinople, les relations fortes sur un plan diplomatique entre « la sublime porte » et certaines nations européennes (en particulier la France) en font une nation européenne sensiblement plus liée à l’Europe des 27 que la Géorgie par exemple. Par ailleurs, peut-on opposer l’expérience ottomane en Turquie pour barrer la route à l’intégration dans l’UE et ne pas la soulever dans le cas des Balkans qui ont été sous influence Ottomane durant plusieurs siècles ?

Il ne faut donc pas avoir peur de la Turquie. Il serait insensé, sauf à tomber dans des considérations irrationnelles, de craindre plus la Turquie que la Géorgie ou la Serbie, comme pays futur pays membre de l’Union Européenne.

Définissons qui nous sommes en tant que membres de l’UE à 27 et nous saurons demain un peu mieux qui nous voulons être et qui nous voulons accueillir.

A titre personnel je n’ai d’ailleurs nullement tranché politiquement ma position sur la Turquie, tant que nous ne trancherons pas non plus notre position commune à l’égard des autres pays candidats.

Amitiés

Boris

Varsovie

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