samedi 14 novembre 2009

Pour une politique culturelle extérieure de gauche

Chers tous,

Après avoir traité essentiellement de la question des moyens publics nécessaires au fonctionnement du réseau culturel extérieur, je voudrais aujourd'hui revenir sur les objectifs assignés à la politique culturelle de l'Etat à l'étranger

Nous avons été un certain nombre à le faire depuis deux ou trois ans sur le forum de l'ADFE ou sur celui de la FFE alors que la réforme de l'action culturelle extérieure devenait plus pressante. Il me semble nécessaire d'y revenir clairement aujourd'hui en se demandant si une politique culturelle extérieure de gauche est possible.


Lors de l'atelier organisé sous l'impulsion d'Helene Conway en mars 2009 à l'assemblée nationale et qui a réuni des praticiens de premiers plans de l'action culturelle à l'étranger (directrice de la DGCID, Secrétaire général de Culture France, Secrétaire général de l'AF de Paris, sénateurs Socialiste des français de l'étranger, syndicalistes, conseillers AFE etc...) un consensus assez large est apparu pour considérer l'action culturelle extérieure comme élément de la diplomatie française. L' objectif régalien sousjacent est celui de l'influence et du rayonnement international de la France à l'étranger par le biais de la promotion de notre culture et de notre langue (une langue et une culture pas strictement franco française, la langue française étant une langue portée et partagée par d'autres peuples, la culture française s'éffaçant souvent devant la multiplicité des cultures francophones)

De manière plus institutionnelle, le livre blanc sur la politique étrangère rédigé en 2008 par une commission "d'experts" a pu rappeler ce rôle historique conféré à l'action culturelle extérieure comme piliers de la politique diplomatique de la France. (ce livre blanc restant néanmoins une commande politique du président Sarkozy non exempte d'arrières pensées)
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/ministere_817/modernisation_12824/livre-blanc-sur-politique-etrangere-europeenne-france_18407/index.html )

Sur ces bases, une politique culturelle extérieure alternative est elle possible ? Que pourrait être une politique culturelle de gauche à l'étranger ?Pour répondre à cette question il faut faire ici d'abord un rappel historique important pour évoquer la politique culturelle du ministère de la Coopération (avant 99) :

En fait, il y a eu un avant et un après 1999 au niveau de la politique culturelle extérieure de la France. En effet, avant cette date, un ministère de la coopération de plein exercice existait dont le rôle était notamment la conduite de la politique culturelle extérieure ou, tout du moins, la gestion en direct ldu réseau culturel extérieur, de ses politiques et de ses agents - le dispositif culturel de coopération étant un élément important du dispositif de coopération incluant aussi la coopération éducative, technique (l'assistance technique), scientifique et universitaire.

En 1999, le ministère dela coopération a été intégré au ministère des affaires étrangères, officiellement, pour rendre plus cohérente la politique diplomatique de la France, et recentrer la politique de coopération au sein d'objectifs diplomatiques plus vastes. Officieusement, une rivalité de longue date existait entre les diplomates du Quai et les coopérants du réseau de coopération dont le réseau culturel formait un des éléments central. Le réseau des missions de coopération était donc une sorte de réseau diplomatique Bis , parfois, comme en Afrique, un réseau plus puissant (en terme financier, d'influence et d"effectifs en agents) que les Ambassades. La réforme de 99 était donc un peu "la revanche"des diplomates du Quai sur les coopérants de ministère de la Coop'...
Il ne faudrait par réduire ici la notion de coopération a son aspect politique de "défense du précarré Africain" ou la limiter à la notion critiquée ,à juste titre, de "France Afrique".
Dans sa philosophie, la notion de coopération entre Etats poursuit des objectifs de solidarité, d'entre aide, de partage des connaissances et des savoirs, comporte un apprentissage mutuel des cultures , c'est à la fois la politique de la main tendue au plus faible, mais c'est aussi et surtout la politique de compréhension mutuelle entre les peuples, une politique de paix donc. C'est également une politique économique d'aide au développement se fondant sur le partage des savoirs, des connaissances, des techniques et des expériences qui est également poursuivie à travers la politique de coopération.

Première conclusion, provisoire :

Il me semble que si une politique de coopération culturelle alternative etait possible dans le cadre d'un réseau culturel et éducatif autonome, ou en tout cas d'objectif de coopération distincts d'objectifs strictement diplomatiques, il est en revanche plus difficile de dégager aujourd'hui très clairement, une politique diplomatique "de gauche" en matière culturelle.

Car sur l'objectif diplomatique, assigné à la politique culturelle extérieure le consensus national est assez important, en apparence tout du moins : faire de la Culture un moyen d'influence au niveau mondial ou, de manière plus précise, utiliser la promotion de "notre" langue, nos "productions culturelles", "nos"artistes, dans le double objectif de rayonnement international et de puissance politique. La distinction politique majeure entre droite et gauche serait de considérer "L'entre nous"de la Culture dans une acception étroite, frileuse et franco française (convervatrice sinon de Droite) ou de voir, dans une optique ouverte et de gauche, "notre culture" comme celle de la francophonie (les cultures des locuteurs qui utilisent le français) ou plus largement comme celle de la "francosphère" (Cf Dominique Wolton sur ce thème). Défendre Notre culture en ce sens revient essentiellement à défendre et faire mieux connaitre le monde des cultures minoritaires, distinct du modèle culturel dominant porté par les industries culturelles mondiales ou du monde culturel anglo saxon.

Il y a là on le voit une première distinction politique possible droite/gauche, ou plus précisément, un clivage entre les tenants d'une vision "nationaliste" ou étroite de la Culture, et les défenseurs d'une vision plus internationaliste des Cultures francophones.

Cela nous amène au deuxième objectif de la politique culturelle extérieure :
Il y a désormais un consensus apparent, dépassant le clivage droite/gauche, sur l'objectif général de promotion de la diversité culturelle assignée à notre réseau culturel extérieur. Comme si la vision "de gauche", internationaliste, s'était imposée définitivement comme objectif politique :

La défense selon un front politique commun, de "l'exception culturelle"(Cf négociation de 1993 dans le cadre du GATT , menée par le gouvernement Balladur, mais soutenue par le président Mitterrand et par les forces de gauche en France, pour éviter de faire de la culture une marchandise comme les autres et y appliquer donc, un traitement de " bien public", sur un plan juridique ou institutionnel, distinct donc des normes commerciales de droit commun).
De "l'exception culturelle" nous sommes passés, en un peu plus de dix ans, à la défense de la "diversité culturelle" (concept appartenant au départ au champ de la biologie...), s'entendant aujourd'hui comme une lutte contre l'uniformisation des cultures, comme une résistance à la soumission aux logiques dominantes du marché de la culture et des industries culturelles principales. Cela s'entend, plus largement, comme la défense de toutes les cultures mondiales, et notamment des plus minoritaires et fragiles d'entre elles.
La promotion de la "diversité culturelle" est aussi bien entendu, sur un plan diplomatique, le moyen de défendre la francophonie, comme réservoir de richesses culturelles significatives, et également et bien entendu de promouvoir la Culture Française, comme Culture Alternative au modèle dominant anglo saxon.

La gauche a t'elle définitivement remportée la victoire des idées en matière culturelle extérieure, en imposant la défense de la diversité culturelle ? Le consensus politique apparent sur cette question est en fait aujourd'hui en train de s'effriter, et un nouveau clivage apparait (ou réapparait) entre les tenants d'une approche libérale de la Culture qui souhaitent que l'Etat soit "modeste" en matière d'action publique culturelle et les défenseurs d'une vision plus interventionniste en matière culturelle extérieure :

pour les thuriféraires libéraux de "l'Etat Culturel" (dans la lignée d'inspiration de l'ouvrage célébre de Fumaroli) le cout exhorbitant de l'action culturelle extérieure est généralement avancé (lire en cela le rapport du Sénateur Gouteyron de 2008 qui articule son raisonnement sur l'inefficacité d'un réseau qui couterait "1 milliard d'euros" à la France chaque année et qui se base sur un calcul inexact et fallacieux, mélangeant le cout de l'action culturelle intérieure au cout de l'action culturelle extérieure).

Au niveau du réseau culturel des affaires étrangères, ces tenants d'une approche libérale promeuvent essentiellement une politique culturelle "hors les murs" (une politique culturelle extérieure qui ne s'incarne plus dans des batiments ou établissements culturels à l'étranger), fondée sur des équipes légères chargées d'animer des évènements culturels au côté des industries culturelles existantes, des équipes capables de lever des fonds privés massivement avec peu d'apport en subvention publique. Ces libéraux font généralement peu de cas de l'action linguistique, vue certainement, dans une hiérarchie symbolique implicite, comme une activité culturelle moins noble ou en tout cas, comme une activité susceptible de s'inscrire dans une politique strictement commerciale : leur raisonnement implicite est certainement : peu importe si les écoles de langue françaises à l'étranger sont publiques ou privées, dès lors "qu'on y vend" de la langue française au meilleur cout et au plus grande nombre.

Dans "l'autre camp", celui des interventionnistes (le notre si j'ose dire), l'objectif de la politique culturelle extérieure est un objectif public qui relève donc de politiques définies et gérées par l'Etat.

La "sainte trinité" culturelle entre Langue-Culture et diffusion de l'écrit- se retrouve dans la promotion d'un modèle d'établissement culturel qui est à la fois une école de langue française, une bibliothèque ouverte à tous, et un lieu d'organisation et de promotion d'artistes et de spectacles. L'établissement culturel doit aussi être, plus largement, la maison de toutes les cultures, et notamment favoriser la coopération avec les institutions culturelles des pays d'accueil, ou, quand celles ci sont défaillantes ou en retrait, la coopération directe avec les artistes des pays d'accueil pour une aide àla promotion et àla diffusion des cultures nationales.

Les interventionnistes insistent généralement sur la question des justes moyens publics que doit accorder l'Etat pour gérer la politique culturelle extérieure. La mixité des financements (50% privé, 50% public) est, à mon sens, un équilibre raisonnable pour la zone OCDE. L'objectif de mixité des financements n'ayant pas de sens dans une optique de coopération culturelle au niveau des pays en développement.
Voilà donc une deuxième distinction possible sur un plan politique entre interventionnistes et libéraux de la Culture.

Une troisième distinction politique possible se base sur le choix du meilleur niveau institutionnel d'action pour promouvoir la Culture française ou les Cultures francophones.
Le cadre de L'Etat national, celui de mise en oeuvre de la politique culturelle extérieure de la France, pourrait, demain, se doubler d'un cadre européen d'action. La promotion de centres culturels européens, en Europe et à l'extérieur de l'Europe, pourrait être une manière de raffermir le sentiment d'appartenance commune à un vaste ensemble de peuples et de cultures européennes et chercherait ainsi à faire rayonner la ou les culturels européennes à l'étranger (je renvois à un article écrit en juin 2009 sur les centres culturels européens, présent sur mon blog)/

En conclusion, derrière le consensus apparent d'une victoire des idées "de gauche" de promotion de la diversité culturelle, se cache en fait des clivages politiques tenances entre tenants d'une vision nationale de la Culture contre défenseurs d'une vision internationaliste des cultures tet de la francosphère, sous fond de clivage institutionnel entre libéraux et interventionnistes. Dans le camp des interventionnistes, les plus européens d'entre nous voudront développer, demain, une action en faveur des cultures européennes fondée institutionnellement sur des établissements culturels européens.

Une politique culturelle extérieure de gauche est donc possible, elle doit s'assigner, dans le cadre de l'Etat, un objectif politique et diplomatique de défense internationale des cultures minoritaires en tant que mission de coopération et de service public, et doit agir, également, au niveau européen pour, demain, mettre en place des centres culturels européens chargés de promouvoir les cultures d'une Europe ouverte

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