vendredi 6 novembre 2009

Une réforme pour le réseau culturel à l'étranger qui reste à faire


Cher tous,

L’annonce faite par le ministre Kouchner de création d’une agence culturelle sous forme d’établissement industriel et commercial ressemble malheureusement a une réforme « Canada dry », elle en a la couleur, mais n’en est qu’un pale ersatz.

N’ayons pas peur de l’affirmer clairement : la réforme du réseau culturel reste toujours à faire.


Je voudrais ici développer des réflexions politiques personnelles à la lumière de mon exercice professionnel au service du réseau culturel à l’étranger, et également en tant que représentant syndical des personnels du réseau (pour l’UNSA Education)

il m’apparaît que c’est un profond sentiment de désenchantement, ou même l’impression d’avoir été floué d’une réforme nécessaire, qui domine aujourd’hui chez les personnels exerçant dans ce réseau, qu’ils soient diplomate de carrière, fonctionnaires détachés, contractuels issus du monde culturel francophone ou recrutés sur place.

Les usagers ne se rendent pas réellement compte de nos tourments institutionnels. Nos subtilités « franco-française » de gestion publique leur échappent souvent, ou même les font doucement sourire.

Par contre, ils peuvent constater tous les jours, la hausse des tarifs de cours de français, les difficultés de fonctionnement quotidien d’établissements culturels qu’ils perçoivent comme en déclin faute de soutien de l’Etat français. Ils déplorent, comme nous le faisons, les fermetures nombreuses de centres culturels en Europe et s’inquiètent de voir le réseau des alliances françaises sous doté en moyens publics.

La réalité de notre réseau à l’abandon ne leur échappe donc pas.


Désenchantés, les personnels du réseau culturel le demeurent :


Car la principale réforme attendue était celle des moyens publics et que le ministre Kouchner ne donne aucune garantie ou ne fait aucune annonce réelle sur ce point crucial (les 40 millions évoqués sont un artifice comptable, ce point a déjà été évoqué en début d’année 2009, ce n’est en rien des ressources publiques nouvelles).

Déjà en 2001, le rapport du sénateur Dauge insistait sur le besoin d’un plan d’urgence budgétaire.

Huit ans plus tard, les vagues répétées d’économies imposées par Bercy au ministère des affaires étrangères ont profondément paupérisé ce réseau culturel d’autant que les arbitrages financiers au Quai d’Orsay lui sont généralement systématiquement défavorables (le Quai, faisant du réseau culturel sa variable d’ajustement budgétaire)

« Sur le problème des moyens, le ministre s’en tient à des annonces sans crédibilité : derrière un discours incantatoire de renforcement du réseau, la réalité financière est celle d’un effondrement sans précédent des crédits budgétaires (-10% en 2007 ; -10% en 2008 ; -20% en 2009) qui ont fait perdre en 3 ans au réseau presque la moitié de ses moyens d’actions » comme le rappelle Helene Conway.

Les syndicats du MAE, en un front unanime (CFDT, UNSA, FO, CGT, FSU, USASC) ont refusé la logique de démantèlement de l’Etat inscrite dans le dépouillement des moyens publics du réseau et accélérée par une gestion industrielle et commerciale de la Culture. Le ministre semble ne pas les avoir entendus.

Les personnels du réseau culturel et diplomatique, consultés en septembre par l’administration du Quai d’Orsay, se sont abstenus de répondre aux questionnaires sur la réforme qui leur était remis - moins de 5% des agents ayant répondu – 95% des personnels ont donc voté « avec leurs pieds », et se sont abstenus sur ce simulacre de concertation.

Une réalité : Le réseau culturel est en voie de commercialisation culturelle avancée :

La piste de création d’ un établissement public administratif, évoquée en 2001 par le rapport Dauge, soutenue de longue date par l’ADFE ou la FFE, et reprise dans le programme de la candidate des socialistes Ségolène Royal, visait à continuer à gérer ce réseau dans un cadre public rénové et renforcé. Le gouvernement Sarkozy a décidé d’emprunter une autre voie de réforme, celle de la privatisation des moyens et des modes de gestion :

Rappelons, qu’ historiquement, l’ambition de ce réseau, qui a plus d’un siècle d’existence, est de faire du rayonnement culturel à l’étranger un élément de diplomatie pour participer, au 21ème siècle, au combat pour la diversité culturelle et contre l’uniformisation des cultures. Tant historiquement que de manière plus contemporaine, ces missions sont donc régaliennes et font partie du cœur des politiques d’actions publiques de l’Etat.

Cette ambition culturelle aurait donc du se traduire en terme de gestion publique, une gestion ayant vocation à être mieux paramétrée dans le cadre d’un établissement public « sanctuarisant » la gestion des moyens humains et financiers des établissements culturels à l’étranger ; L’Etat restant le stratège, via la tutelle du ministère des affaires étrangères, l’agence devenant la courroie de transmission publique pour l’action et la gestion des moyens à l’étranger.

Or, l’annonce faite par le ministre de création d’un établissement public industriel et commercial vient acter une logique de privatisation progressive des moyens et des modes de gestion du réseau déjà en œuvre depuis plusieurs années :

Aujourd’hui, dans la zone OCDE, ce sont les usagers du réseau culturel, et en particulier les apprenants qui suivent des cours de français en institut ou en Alliance, qui payent principalement le cout de fonctionnement culturel du réseau à l’étranger. C’est un tabou institutionnel que peu de décideurs publics veulent admettre car cette réalité se base sur « un non dit » de gestion.

En effet, en diminuant les subventions publiques, « l’autofinancement » des instituts culturels est désormais d’environ 56% dans les pays développés.

Cela signifie en clair, qu’en vendant principalement des cours de français, et dans une moindre mesure en levant des fonds de mécénat auprès d’entreprises françaises ou étrangères, les établissements culturels assurent le financement d’activités culturelles en comblant le manque de subvention publique.

La logique n’est pas mauvaise en soit. J’y vois même personnellement un succès important d’un réseau qui a su s’adapter à la mixité de financement des politiques culturelles à l’heure de l’affirmation de puissance des industries culturelles.

Mais cette logique devient pernicieuse et dangereuse pour la survie du réseau, bassement commerciale si j’ose dire, quand c’est la raréfaction des ressources publiques qui fait office de politique, quand la privatisation se fait à marche forcée, sans s’appuyer sur un cap stratégique, quand les objectifs de « rentabilité » deviennent impossibles à supporter, quand c’est de la fermeture des centres culturels européens qu’on fait dépendre l’ouverture de centres culturels en Asie, quand la RGPP devient une idéologie, celle de la Raréfaction Générale des Politiques (et moyens) Publics :

En 2012, l’objectif est de 60% d’autofinancement pour tout le réseau culturel. Combien de centres culturels français en Afrique pourront survivre à cette marche forcée de gestion ? Combien de centres culturels français en Europe devront fermer pour ne pas pouvoir suivre le pas ?

Certains décideurs du ministère murmurent tout bas que l’objectif à terme est bel et bien de 100% d’autofinancement.

Finalement, ce qu’on nous promet ici, c’est une gestion « Euro Disney » de la « marque culturelle » française, la logique du divertissement culturel comme cap stratégique, le raisonnement du « business spectacle » comme ambition des industries culturelles dominantes auprès desquels nos établissements culturels feront figure de gadgets. La soupe culturelle pour tous en quelque sorte, même insipide et indigeste.

Il y a là une logique de fuite en avant vers des performances que les plus efficaces des institutions culturelles en France ne peuvent atteindre (que l’on regarde le taux d’autofinancement du musée du Louvre ou d’Orsay pour s’en convaincre, ils sont inférieurs à 50%, malgré les projets de développement ouverts par le Louvre des sables d’Abou Dhabi).

La création de l’EPIC (établissement public industriel et commercial) dans ce contexte est un cadeau empoisonné fait à Culture France, et une manœuvre de démantèlement poussé de l’Etat dans un contexte d’austérité budgétaire gouvernementale.

La grogne sociale des personnels de Culture France doit être un signal d’alerte : la réforme Kouchner n’est pas l’Austerlitz de l’action culturelle qu’on voudrait nous vendre, mais bien un Waterloo institutionnel.

Et demain ?

Le projet de loi sur l’action culturelle extérieure sera bientôt discuté par les parlementaires : déposé sur le bureau du Sénat fin juillet et inspiré par la plume libérale des Sénateurs Gouteyron et Duvernois, partisans bons teints du moins d’Etat pour la gestion de la Culture, il devra faire l’objet d’un tir de barrage nourri des parlementaires de gauche.

Il ne faut pas en effet se tromper d’adversaire : On peut évidemment, avec un peu de facilité intellectuelle, stigmatiser l’attitude de certains hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay qui continuent à voir la diplomatie culturelle comme une « danseuse », un « hobby », ou « une cerise sur le gâteau » ( pour reprendre l’expression d’un camarade Sénateur) et les agents du réseau culturel comme des prébendiers hostiles à toute réforme ou tout effort d’adaptation.

Or, Les agents du réseau culturel, agents publics ou agents de recrutement local, ne sont pas hostiles au principe de la modernisation du réseau culturel : Depuis la réforme institutionnelle de 1999, ils ont réussi, dans un climat d'austérité budgétaire croissant, à relever certains défis grâce à leur engagement professionnel et à leur sens de l'adaptation :

la transformation institutionnelle de la DGCID (direction générale de la coopération) en DGM (direction générale de la mondialisation), l'augmentation croissante du taux d'autofinancement des activités culturelles et linguistiques dans les instituts, la montée en puissance du mécénat local, la diversification des activités culturelles pour le rayonnement français à l'international, l'adaptation permanente de l'offre linguistique aux besoins nouveaux des publics étrangers, sont à mettre à leur actif.

Les conservateurs aujourd’hui sont bels et bien ceux qui se précipitent vers le mirage de la culture gérée comme un fond de commerce, qui refusent d’opérer des réformes publiques dotées de moyens budgétaires conséquents et qui participent au démantèlement de l’Etat, sans pour autant assumer ce choix idéologique devant l’opinion publique, en faisant de la Culture une seule entreprise industrielle sans ambition humaine.

Boris

Varsovie

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